Émotion, Humour, Philosophique

Une bouche sans personne

de Gilles Marchand (Auteur)
Broché – 5 octobre 2017
Éditeur : Points

De sa lèvre inférieure au tréfonds de sa chemise, il a une cicatrice qu’il dissimule sous une écharpe. Le jour, il compte et recompte des colonnes de chiffres. La nuit, il retrouve Sam, Thomas et Lisa au café. Ses trois amis ne savent rien de lui. Un soir, il décide d’ôter le cadenas de son armoire à souvenirs. Et de raconter avec fantaisie l’empreinte que l’Histoire a laissée sur son corps…

“ On se laisse prendre au jeu de l’imaginaire délirant du narrateur qui cache un traumatisme douloureux, et on finit par rêver avec lui.  »
20 minutes

 

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Bonjour à toutes et à tous.

Une bouche sans personne, est le premier roman de Gilles Marchand.
Pas le premier que je lis, mais l’un de ceux dont j’avais entendu beaucoup de bien…
Dès les premières lignes, je retrouve le style de Gilles, complètement farfelu, déjanté, mais très profond aussi, tout en étant émaillé d’inventions.

Un comptable se cache la journée au milieu de ses chiffres. Il ne vit qu’à travers ses chiffres, ses nombres qui ne l’ont jamais trahi. Il est plus facile de faire des additions que de parler à des personnes. Lorsque l’on compte, on n’est pas obligé de parler.
Mais, quand le bureau ferme, il est seul et cogite. Pas simple de passer inaperçu avec pareille cicatrice. Alors depuis dix ans, le soir venu, il va dans un bar retrouver ses amis, son visage protégé d’une écharpe qu’il n’hôte jamais. Personne ne sait rien de son passé.

Pourtant, un soir, il va de se dévoiler.
L’homme commence alors à raconter… Sa vie, son grand père Pierre-Jean…
Léger et aérien en apparence, le récit devient le roman d’un homme qui se souvient et survit aux traumatismes d’une vie.

Gilles nous offre ici un roman sur l’amitié, et la solitude. Il jongle admirablement bien avec les ingrédients de la vie créant un roman à la fois léger et profond, humain, et habilement construit, serti d’une écriture poétique, douce et pleine de fantaisie.

Nous ne connaîtrons jamais ni le nom, ni le prénom du narrateur traité à la première personne du singulier.
Mais est-ce bien indispensable ?
N’est-ce pas un outil supplémentaire que nous donne l’auteur afin de plonger avec lui dans son monde ?

Vous l’aurez compris j’ai beaucoup aimé ce livre !
Magique, fort, et puissant, l’âme de Boris Vian vient parfois se glisser entre certains mots entraînant un mélange de belle écriture et de métaphores justement dosées…

La fin du roman, m’a bluffé et donne à l’ensemble du récit tout son sens, qui sort des sentiers battus. Un premier roman attachant où vaincre l’horreur est une affaire de mots autant qu’une affaire de cœur.
Que c’est bon de lire un livre tout simplement bien écrit, précis et rempli d’humanité.
Je ne peux que vous recommander ce livre.

 

Hier,

Hier, tous mes problèmes me paraissaient si loin
Aujourd’hui, on dirait qu’ils sont là dans le but de perdurer
Oh, je crois en hier

Soudainement, je ne suis pas la moitié de l’homme que j’étais
Il y a une ombre suspendue au-dessus de moi
Oh, hier est venu soudainement

Pourquoi devait-elle partir, je ne sais pas, elle ne l’a pas expliqué
J’ai dit quelque chose de mal, maintenant hier me manque

Hier, l’amour était un jeu tellement facile à jouer
Aujourd’hui j’ai besoin d’un lieu pour m’isoler
Oh, je crois en hier

 
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Extrait :

« Pourquoi n’enlèves-tu pas cette foutue écharpe ? »
Silence. Il continue à me regarder dans les yeux tandis que Sam s’efforce de prendre un air dégagé. Ce n’est pas la première fois qu’ils m’interrogent à ce sujet. Depuis le premier jour, ils me disent que je peux la retirer. « Il fait trop chaud dedans », « Tu auras froid en sortant », « On est entre amis, tu n’as rien à craindre »… Ils sont revenu plusieurs fois à la charge sans trop insister et finissant par s’excuser de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Je n’ai jamais cédé. Il n’y a pas de négociation possible, parce que je n’ai rien à y gagner. Et on ne négocie pas avec les amis.
Pourtant, ce soir c’est différent. Il y a autre chose. Pas de la pitié, mais quelque chose qui flotte dans l’air, entre le comptoir, la réserve, notre table et la porte d’entrée. Quelque chose qui joue avec la fumée de nos cigarettes, qui voile leurs regards et fait vibrer leurs voix d’un timbre que je ne parviens pas à identifier. J’ai bien envie de leur demander ce qui se passe, optant pour la formule la plus efficace en ces circonstances :
« Qu’est-ce qui se passe ?
– Rien, pourquoi ?
– Mais si, je le sens bien. Il y a comme une odeur. Vous savez, ces odeurs décrites dans certains livres, ces odeurs indéfinissables dont on ne sait jamais si elles existent ou s’il s’agit de simples figures de style, comme celle de la peur de l’argent. Un truc qui passe et que je n’arrive pas saisir.
– Une odeur errante ? » Sam est mal à l’aise et commence à remuer sur sa chaise.
« Vu la description, je dirais plutôt rôdante, ajoute Thomas. »

 

 

Gilles Marchand est né en 1976 à Bordeaux.

Il a notamment écrit Dans l’attente d’une réponse favorable (24 lettres de motivation) et coécrit Le Roman de Bolaño avec Éric Bonnargent.
Son premier roman solo, Une bouche sans personne en 2016, attire l’attention des libraires (il est notamment sélectionné parmi les « Talents à suivre » par les libraires de Cultura, finaliste du prix Hors Concours, et remporte le prix des libraires indépendants « Libr’à Nous » en 2017) et de la presse, en proposant le curieux récit, le soir dans un café, d’un comptable le jour expliquant à ses amis pourquoi il porte en permanence une écharpe pour cacher une certaine cicatrice.

Il a été batteur dans plusieurs groupes de rock et a écrit des paroles de chansons.

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