Histoire

Les Mots immigrés

de Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini
Broché – Illustré, 2 février 2022
Éditions : Stock

À l’heure où revient le débat sur l’identité, avec des opinons opposées de plus en en plus violentes, Erik Orsenna a voulu, par la voie du conte commencée avec sa Grammaire est une chanson douce, raconter l’histoire de la langue française. Pour une telle ambition, le savoir lui manquait. Bernard Cerquiglini, l’un de nos plus grands linguistes et son ami de longue date, a bien voulu lui apporter ses lumières aussi incontestées que malicieuses.
Et nous voilà partis, deux millénaires en arrière, chez nos ancêtres les Gaulois dont les mots sont bientôt mêlés de latin, puis de germain. Avant l’arrivée de mots arabes, italiens, anglais… Un métissage permanent où chaque langue s’enrichit d’apports mutuels.
Jusqu’à ce que déferle une vague de vocables dominateurs nés de la mondialisation économique et inventés pour son service. Ce globish aura-t-il raison de la diversité linguistique, aussi nécessaire à nos vies que cette biodiversité dont nous avons appris à reconnaître l’importance capitale, et la fragilité ?
Et si les mots immigrés, c’est à dire la quasi-totalité des mots de notre langue, s’ils décidaient de se mettre un beau jour en grève ? Ce jour-là, les apôtres de cette illusoire pureté nationale deviendraient muets. Il n’est pas interdit d’en rêver…

 

 

Une amie m’a prêté ce livre/dictionnaire/conte???, sur la langue française.
J’ai adoré…

C’est exactement le type de livres où je me sens bien. Un livre avec des mots !
Je vous fais sourire ?
Vous allez comprendre…

Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini nous instruisent à l’aide d’un scénario complètement fou et original sur l’origine de celle qui est pour moi la plus belle langue au monde (peut-être d’ailleurs, parce que c’est la mienne ?) !
Quoi qu’il en soit, les deux auteurs nous emmènent à travers une histoire dingue, vers l’origine de la langue française telle que nous la connaissons aujourd’hui, même si chaque jour, elle change un peu !

Nous sommes au second tour des élections.
Tous les Français sont penchés devant leur écran de télévision et se demandent lequel des deux finalistes l’emportera ! Ils attendent de savoir à quelle sauce ils vont être mangés !
Ce soir pour les candidats, il s’agît de trouver les mots justes, les mots qui feront pencher la balance du bon côté.
Et dans ce genre de duel à mort, on a beau croire à l’intelligence des idées, ce sont les mots qui comptent, la force et la simplicité des mots. À ce jeu-là, la “blonde” candidate de la droite extrême est une experte. Face à elle, son adversaire baisse un peu la tête, il écoute, il attend son tour. En dépit de son jeune âge, lui aussi connaît la vie. Il a l’envie du pouvoir et veut régner sur son pays ! Il ne se laissera pas faire… Surtout depuis la gifle qu’il a reçu en public la semaine précédente. Il attend patiemment l’arrivée de l’estocade finale, pour la balayer d’un revers bien lancé… Au moment où elle s’enivrait déjà du goût du sang, au moment où il se tenait prêt à lancer son ultime et décisive attaque… elle stoppe net, comme paralysée, la bouche entrouverte et les yeux hagard qui ne reflètent qu’une extrême surprise !
Et soudain, c’est le silence.
Dès lors, plus un mots ne sortira de sa bouche, et ce, jusqu’à nouvel ordre…

Ainsi l’a décidé Indigo.
Il n’en pouvait plus de ce verbiage, véritable pugilat verbal qui insultait toutes les personnes venues d’ailleurs et toutes celles ayant un minimum d’esprit…
C’est à ce moment-là que les mots immigrés ont décidé de se révolter.
Mais qui est donc Indigo ?

Comment ne pas s’incliner devant cette histoire incroyable et loufoque. J’ai pris énormément de plaisir à sa lecture, et j’aurais tellement aimé le lire plus tôt ! Que de surprises au fur et à mesure où je tournais les pages… Ma curiosité concernant l’apport de mots étrangers dans “MA” langue, plus qu’intriguée, a été titillée et m’a donnée vraiment l’envie de me replonger, dès que possible vers l’origine d’une langue qui finalement n’est pas si « française » que ça !

Attention ! Ce n’est pas un livre à proprement parler, historique, ni linguistique.
C’est un ouvrage très plaisant, qui pourrait donner envie à de nombreux lecteurs de se poser, comme moi, des questions sur l’évolution des langues, quelles qu’elles soient… D’ailleurs, un minimum d’humour est même recommandé !
Car oui. On peut tout à fait mélanger plaisir, humour et érudition.

Un grand merci à Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini, pour cette nouvelle porte ouverte…

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Extraits :

« Quelle catastrophe avait donc frappé notre France ? Ce soir-là, le pays était vide.
Sans prévenir, une bombe était-elle tombée, de celles qu’on appelle “à neutrons” parce qu’elles tuent les êtres humains, mais laissent debout les villes ? Une pandémie brutale nous avait-elle frappés ? Mais alors, où étaient passés les cadavres ?
Plus personne dans les champs.
Plus personne dans les rues.
Pas même une voiture de police ou un couple d’amoureux. »

« La procédure électorale était gelée pour deux semaines (en d’autres termes plus clairs, on retardait d’autant le vote).
Les jours ainsi libérés allaient permettre de rendre hommage aux vagues successives de mots immigrés qui avaient contribué à bâtir ce chef-d’œuvre qui a pour nom “langue française”. »

« Mes chères téléspectatrices, mes chers téléspectateurs, au XVIe siècle la langue française s’était joyeusement italianisée, nous l’avons vu hier ; au XVIIe, elle s’est… francisée. Comme si, après avoir avalé beaucoup de mots étrangers, il lui fallait digérer. Au lieu d’emprunter, on se préoccupa de purifier la langue. »

« – Alors pourquoi, mais pourquoi, vous, Français , ne parlez-vous plus français ? Pourquoi renoncer à vos mots ? Vous savez que vous êtes ridicules ? “L’équipe de direction, qui travaille en espace ouvert, a confié la légende de l’entreprise à un laboratoire d’idée.” C’est clair non ? Tout le monde comprend. Alors pourquoi ce galimatias : le Staff du manager, qui coworke en open space, a confié le storytelling à un think tank ? »

 

 

Erik Orsenna est l’auteur de L’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988), de Longtemps, de Madame Bâ et de Mali, ô Mali. Il a aussi écrit des petits précis de mondialisation, dont Cochons. Voyage aux pays du Vivant (2020), et des biographies, dont La Fontaine, une école buissonnière (2017), Beaumarchais, un aventurier de la liberté (2019) et La Passion de la fraternité, Beethoven (2021). On lui doit également cinq contes célébrant la langue française dont La grammaire est une chanson douce (2001).

Linguiste et membre de l’Oulipo, Bernard Cerquiglini a exercé de nombreuses fonctions au ministère de l’Éducation nationale et au Conseil supérieur de la langue française. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont Le Ministre est enceinte ou la grande querelle de la féminisation des noms (Seuil, 2018) ou Un participe qui ne passe pas (Seuil, 2021).

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