Aux confins des confinements
de Francis Denis
Broché – 12 janvier 2025
Éditions : La route de la soie – Éditions

Quand le quotidien se fige et que l’humanité vacille, il reste la force des mots pour capturer l’indicible. Dans ce recueil poignant et déroutant, Francis Denis explore les multiples facettes du confinement, miroir d’une époque troublée où le réel flirte avec l’absurde.
À travers des récits teintés d’ironie, de mélancolie et d’espoir, Francis Denis donne vie à une galerie de personnages, pris dans l’immobilité de leur monde intérieur et extérieur. Tour à tour poétique, satirique et profondément humain, Gel interroge nos fragilités, notre résilience et notre capacité à rêver malgré tout. Des dialogues intemporels aux images saisissantes, ce livre est une invitation à plonger dans l’univers singulier de Francis Denis, où l’ordinaire devient extraordinaire, et où chaque instant figé contient l’espoir d’un renouveau.
Francis Denis, artiste multidisciplinaire, signe ici une oeuvre à la fois littéraire et visuelle, ancrée dans la contemporanéité.

Après avoir été saisi par Jardin(s) – La Femme trouée et déstabilisé avec curiosité par BOB, je me demandais franchement dans quelle direction Francis Denis allait encore m’emmener. Et je dois dire que Gel – Aux confins des confinements m’a pris à revers. Rien à voir, ou presque, avec ses deux précédents romans. Et pourtant, j’y ai retrouvé ce que j’aime chez lui, une lucidité mordante, une écriture affûtée, et une manière bien à lui de saisir les failles de l’humain… Et oui, j’ai souri deux ou trois fois, devant l’intelligence tranquille de certains de ses propos.
Dans Gel, le froid n’est pas qu’un climat, c’est une atmosphère. Il s’infiltre dans les corps, dans les esprits, dans les silences. L’auteur propose une série de huis clos oppressants, comme autant de fragments d’un monde suspendu, abîmé. Chaque scène, chaque voix semble surgir d’un isolement différent, un vieillard qui se terre dans une armoire, un enfant qui écrit au Père Noël, une étrange parodie médiévale… Tout est étrange, presque irréel, surnaturel dirais-je, et pourtant tout sonne tellement juste.
Petit à petit, quelque chose bascule.
Et le confinement glisse vers une autre forme d’enfermement, plus radical, plus désespéré. Le gel devient total, et avec lui, un monde post-apocalyptique prend forme. Machines contre hommes, froid contre mémoire. J’ai été happé, désorienté parfois, mais fasciné.
Ce que j’ai aimé, c’est que ce roman ne se contente pas de rejouer la pandémie. Il la dépasse. Il m’a forcé à m’interroger sur mon rapport au réel, à la peur et à la solitude. Puis, met en lumière un besoin d’évasion et les efforts pour se réinventer, lorsque que tout semble figé.
Ma conclusion, Gel est et restera une œuvre étrange, fragmentaire, mais puissante. Elle m’a laissé un drôle de goût en bouche, comme un souffle givré dans le creux de la gorge. Et c’est précisément pour ça qu’elle m’a plu.
Qu’aurais-je fait à leur place ?
Que restera-t-il de nous ? De moi ?
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Extraits :
« – Ne prenez pas cet air d’inquisiteur chère damoiselle, nous sommes en confinement non pas pour oppresser le peuple mais bien pour nous protéger, pauvres humains que nous sommes tous, du fléau qui frappe à notre porte. »
« Alors la mère. I’ t’ont enfin relâchée !
T’aurais dû respecter les règles. Surtout à ton âge. C’est pas à quatre-vingt douze balais qu’on va se faire bronzer la couenne au bord de l’eau en pleine période de confinement !
J’t’avais dit d’prendre ça au sérieux. On n’est pas dans un roman photo ni entrain de jouer une saynète pour la Noël. Là, maintenant, c’est tout l’avenir de l’Humanité qui est en jeu et quand je dis l’Humanité, c’est l’Humanité avec un grand H !
Comment? Tu ne comprends pas ? Tu dis qu’à ton âge tu crains plus rien et que t’es immunisée ? Que t’en as vu d’autres pendant la dernière guerre et que c’qu’on vit maintenant c’est pas plus grave qu’un coup d’éponge sur un manche à balai ?
Mais tu sais pas qu’i’m’a fallu une autorisation spéciale pour venir te r’chercher aujourd’hui ! »
« 2020.
Nous glissons en douceur vers la fin novembre. C’est le temps du souvenir. Une époque de l’année où un certain vague à l’âme s’empare irrésistiblement de tout notre être et nous laisse pantois face à notre destinée commune.
Outre cette mélancolie de saison, nous voici conscients du nouveau péril qui nous menace. L’ignorance accroît notre angoisse. Nous sommes seuls. Des milliards d’individus seuls au monde. »
« Bien que nous ayons perdu la notion du temps, que le mot « saison » n’a plus de raison d’être, que nuit et jour se côtoient comme de sœurs jumelles, que « bientôt », « plus tard », « jamais » se ressemblent étrangement de plus en plus, nous gardons le rythme du sang qui bat dans nos veines, celui de notre respiration, celui de nos muscles qui peinent, de nos cils qui clignent pour nous protéger les yeux de cette glaçure assassine.
Nous gardons le rythme de l’espoir qui nous habite. »


Francis Denis est né en 1954. Auteur et artiste peintre autodidacte, il réside à Longuenesse, dans le Pas-de-Calais, près de Saint-Omer, en France. Il a été éducateur de 1973 à 2014. Il fut le co-fondateur de la revue poétique Lieux-d’Être avec le poète Régis LOUCHAËRT puis co-organisateur du festival d’art sacré contemporain « Les Regardeurs de Lumière » en la cathédrale de Saint-Omer de 2008 à 2013.
La Route de la Soie – Éditions est une maison indépendante dont le but est de faire émerger des passerelles d’humanités, des résistances poétiques.
- Jardin(s) – La Femme trouée (2020)
https://leressentidejeanpaul.com/2024/10/24/jardins-la-femme-trouee/ - BOB (2023)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/05/28/bob/
