Émotion, Roman

Cordillera

de Delphine Grouès
Broché – 12 janvier 2023
Éditeur : Cherche Midi

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On dit que la cordillère des Andes vibre à l’écho des vies qui y défilent.

Dans le Chili du début du xxe siècle, la famille Silva, respectée et crainte dans le village, est auréolée de mystère. Cecilio, le père, taiseux, les mains dans la terre rebelle. Luisa, la mère, mapuche, qui connaît le pouvoir des chants et des plantes. Esteban, l’aîné, amené à découvrir, ébloui, l’univers des poètes et de l’imprimerie. Joaquín, le cadet téméraire, gardien de troupeaux, mû par l’appel des cimes. Nombreuses sont leurs épreuves : la colère de la terre, la violence des hommes, la mort, le traumatisme de la guerre. Le clan fait face, soudé par un amour pudique. Dans cette nature indomptable, des cols glacials aux vallons ombrageux, des pâtures verdoyantes aux mines du désert de l’Atacama, chacun chemine vers son destin, sa liberté.

Fresque ample et romanesque teintée du réalisme magique sud-américain, Cordillera nous emporte dans la vie d’hommes et de femmes qui résistent et se tiennent debout sur les crêtes des montagnes comme sur le fil hasardeux de l’existence.

 

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Ceux qui me connaissent un peu, savent mon attachement aux premiers romans, avec leurs “petites” imperfections, c’est toujours une aventure littéraire “aveugle”, avec le risque d’être déçu ou tout simplement de ne pas aimer, mais aussi la possibilité d’être émerveillé, de rencontrer une nouvelle plume. Très vite je me suis perdu avec tous les personnages, hommes, femmes aux prénoms auxquels nous sommes peu habitués. Mais j’ai insisté, les phrases que je lisais étaient belles, me touchaient, je ressentais quelque chose…

“Cordillera” est le genre de livre qui a du souffle. Nous ne sommes pas loin d’une grande fresque, d’une saga, on suit l’épopée des fils SILVA qui quittent le clan et partent à l’aventure, les femmes sont-elles guérisseuses, ou sorcière peut-être, dans une véritable société de transhumance qui parle très peu comme souvent sont les Montagnards, taiseux. Mais par contre, ils dialoguent avec le vent qui respecte les plantes et la nature, ils comprennent les animaux. Chacun de leur geste semble faire raisonner une prière, qui tend vers le respect, car l’héroïne, la vraie de ce roman, c’est la Terre. Les habitants du village, la nomment, la Pachamama la “Terre mère”… Les humains ne sont que de passage, la Pachamama elle, c’est le temps, et les hommes de la famille SILVA, sont justement des grands amoureux de la Pachamama. Ce sont des “arrieros”, des cavaliers de la Cordillère profonde et plusieurs fois par an, ils montent sur les Andes pour veiller sur leurs troupeaux et protéger la terre des brigands argentins, leurs grands ennemis.

La trame du livre raconte l’histoire de deux garçons, Esteban l’ainé, sensible à la poésie et à l’écriture, et le plus jeune, Joaquin qui très tôt rêve d’aventure au grand air et souhaite guider les bêtes vers les cimes lors de l’estive. Ces garçons très différents, mais à la complicité fusionnelle feront la fierté de Cecilio le patriarche, ombrageux et secret, et de Luisa, d’origine Mapuche, guérisseuse qui connaît le pouvoir des chants et des plantes. À peine adultes, les deux jeunes hommes seront contraints de quitter leur village situé au pied de la cordillère des Andes, afin de vivre leur propre vie, et les épreuves qu’ils avaient déjà rencontrées très tôt, continueront malheureusement à frapper à leur porte… l’exil, la menace, la maladie, l’amour et la mort…

En avançant dans ma lecture, les angles se sont multipliés laissant le côté familial du début pour être davantage politique et historique. Cordillera est un livre dense et riche, à aucun moment, il ne faut relâcher son attention sous peine de devenir plus spectateur que lecteur intégré !

J’ai ressenti une vraie différence sur mon Ressenti au fur et à mesure de ma lecture !
Vivre avec la famille Silva n’est pas une mince affaire… J’ai bien fait de ne pas baisser les bras, car au final, j’ai fait un superbe voyage !
Hâte de lire le prochain roman de Delphine…

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Extraits :

« Notre histoire est une histoire de déracinements. Parfois, j’aime croire que le cours du récit pourrait changer, que les chapitres suivants se hisseraient dans les airs, balayés par les vents.
Le petit Joaquin, grelottant de fièvre. Mes berceuses, les chants de Luisa. »

« La vie est mal faite.
Une phrase figée que l’on répète à l’envi. Mais ce n’est pas pour rien qu’elle existe.
Lorsque je remonte aux prémices de cette histoire, je ne peux m’empêcher de pourfendre cette vie qui est si mal faite. »

« Esteban était un homme, mais lui, il était différent. Ils s’étaient observés, devinés. Deux esprits enflammés sous deux apparences tranquilles, le même camouflage de sensibilités qui se protègent et se comprennent.
Rosa frappait à la porte, Esteban posait son livre. Le père Bixente la saluait puis laissait le jeune homme la raccompagner à Santa Victoria. Chacun tenait une anse du panier de linge. Ils calaient le balancier de leurs pas.
Ils remontaient doucement la colline, conversaient allègrement, se taisaient dès qu’un intrus croisait leur route. »

« Esteban s’évadait, se vouait à la puissance de la lecture, à la vénération sensorielle du livre. Chaque moment était clef dans l’amorce de l’envoûtement.
Prendre le livre entre ses mains, sentir sa texture, l’odeur du papier. Déchiffrer le titre, tourner lentement la première page, l’ultime respiration avant d’amorcer la lecture, la première phrase, l’envolée. Le col du mi-roman, la reliure qui bascule, les feuillets qui s’éclipsent, les dernières pages qui filent entre les doigts, l’irruption du blanc closant le texte. La couverture qui se referme dans un soupir. Le silence. La séparation, voire le deuil. Puis, le renouveau. »

 

Delphine Grouès, directrice de l’Institut des compétences et de l’innovation de Sciences Po, est autrice d’une thèse sur la protestation populaire chilienne, Cris et écrits de l’opprimé, et d’une pièce de théâtre, La Lueur de l’ombre, sur les silences mémoriels.

Chaque année, cette amoureuse du Chili arpente la cordillère des Andes à cheval et s’aventure seule dans les lieux les plus sauvages.