Émotion, Drame, Violence

Eldorado

de Laurent Gaudé (Auteur)
Poche – 2 mars 2009
Éditions : J’AI LU

« Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »
Pour fuir leur misère et rejoindre l’“Eldorado”, les émigrants risquent leur vie sur des bateaux de fortune… avant d’être impitoyablement repoussés par les gardes-côtes, quand ils ne sont pas victimes de passeurs sans scrupules. Le commandant Piracci fait partie de ceux qui sillonnent les mers à la recherche de clandestins, les sauvant parfois de la noyade. Mais la mort est-elle pire que le rêve brisé ? En recueillant une jeune survivante, Salvatore laisse la compassion et l’humanité l’emporter sur ses certitudes…

Voyage initiatique, sacrifice, vengeance, rédemption : le romancier au lyrisme aride manie les thèmes de la tragédie antique avec un souffle toujours épique.
L’EXPRESS

Eldorado ne se lit pas : il s’éprouve.
C’est un roman qui m’a brûlé à l’intérieur, qui m’a remué la conscience et mit des visages sur des drames trop souvent noyés dans l’anonymat. J’ai suivi le commandant Piracci, homme en uniforme mais surtout un homme droit plein de doutes, rongé par une lassitude silencieuse qui va l’emporter. J’ai marché, moi aussi, avec Soleiman et tous les autres, fuyant la misère avec pour seule boussole un rêve d’Occident, un Eldorado aussi lointain qu’insaisissable.

Il n’y a pas de misérabilisme chez Laurent Gaudé, juste une dignité marquée et très puissante, une humanité à fleur de peau. Ses mots sont sobres, mais percutants, et chaque chapitre m’a laissé cette impression d’être un peu plus impliqué, un peu moins indifférent. Finalement, ce roman, c’est le croisement de deux chemins : celui de l’exil et plus encore celui du retour vers soi. Deux trajectoires que tout semble opposer mais que la mer relie dans une gravité commune.

À la dernière page, je suis resté là, silencieux, j’avoue un peu perdu devant tant de violence. Ce roman n’a pas d’une fin pour moi, il est un appel. Un appel pour ne jamais oublier, un appel à regarder au-delà des chiffres, au-delà des médisances, un appel à entendre les battements de cœur en souffrance au-delà des mers, derrière les frontières…

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Extraits :

« Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles, lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule. Il observait les rangées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert. Son esprit était comme happé par ce spectacle. Il ne pouvait plus les quitter des yeux et ce qui, pour toute autre personne, était une profusion joyeuse de nourriture lui semblait, à lui, une macabre exposition. »

« “Voilà que les femmes me regardent, se dit-il. Et moi qui m’imaginais déjà avoir à me battre.” Puis il reprit sa marche et n’y pensa plus. Il quitta les ruelles engorgées du marché en laissant le soleil scintiller sur les toits et les pavés de Catane. Il quitta les ruelles du marché sans s’apercevoir que la femme, comme une ombre, le suivait. »

« Il finit par se dire que le plus simple serait de demander de l’aide. À deux ou trois, ils parviendraient peut-être à l’emmener. C’est alors que leurs regards se croisèrent. Jusque-là, il n’avait vu qu’un corps emmitouflé, qu’une femme éreintée de fatigue, une pauvre âme déshydratée, qui ne voulait pas quitter la nuit. Mais lorsqu’il croisa son regard, il fut frappé par cette tristesse noire qui lui faisait serrer la rambarde de toute sa force. C’était le visage de la vie humaine battue par le malheur. Elle avait été rouée de coups par le sort. Cela se voyait. Elle avait été durcie par mille offenses successives. Et il sentit que, malgré cette faiblesse physique qui la rendait peut-être incapable de se lever toute seule et de marcher sans aide, elle était infiniment plus forte que lui, parce que plus éprouvée et plus tenace. C’est pour cela, certainement, qu’il n’avait pu oublier ses traits »

« Elle sentait qu’il partait et qu’il fallait qu’elle se batte bec et ongles. Elle l’appela, le serrant, lui tapota les joues. Il finit par râler, distinctement. Un petit râle d’enfant. Elle n’entendait plus que cela. Au-dessus du brouhaha des hommes et du bruissement des vagues, le petit souffle rauque de son enfant lui faisait trembler les lèvres. Elle fournit. Elle gémit.
Les heures passèrent. Toutes identiques. Sans bateau à l’horizon. Sans retour providentiel de l’équipage. Rien. La révolution lente et répétée du soleil les torturait et la soif les faisait halluciner.
Elle était incapable de dire quand il était mort. »

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Né en 1972, Laurent Gaudé a fait des études de Lettres Modernes et d’Études Théâtrales à Paris. C’est à l’âge de vingt cinq ans, en 1997, qu’il publie sa première pièce, Onysos le furieux, à Théâtre Ouvert. Suivront alors des années consacrées à l’écriture théâtrale, avec notamment Pluie de cendres jouée au Studio de la Comédie Française.
Parallèlement à ce travail, Laurent Gaudé se lance dans l’écriture romanesque.
En 2001, âgé de vingt neuf ans, il publie son premier roman, Cris.

Il est notamment l’auteur de :

  • Cris (2001, Babel),
  • La Mort du roi Tsongor (2002, prix Goncourt des lycéens 2002, prix des Libraires 2003, Babel),
  • Le Soleil des Scorta (2004, prix Goncourt 2004, prix Jean-Giono 2004, Babel),
  • Eldorado (2006, Babel),
  • Dans la nuit Mozambique (2007, Babel),
  • La Porte des Enfers (2008, Babel)
  • Ouragan (2010)

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