de Pierre Bordage
Poche – 23 mars 2022
Éditeur : J’AI LU

Dans le pays de la Dorgne, des êtres mi-hommes, mi-animaux perdent peu à peu leur patrimoine humain et s’enfoncent lentement dans la régression animale. Parce qu’il ne supporte pas de voir la jeune Troïa qu’il aime livrée aux appétits collectifs lors de la cérémonie rituelle de reproduction, Véhir brise l’enclos de fécondité et s’enfuit en quête des derniers dieux humains de la légende. Lui, le grogne paysan, va accomplir ce chemin en compagnie de Tia, une jeune prédatrice hurle en exil.

Comme souvent avec Pierre Bordage, j’ai refermé Les fables de l’Humpur avec un sourire et une joie au cœur. Cet auteur a vraiment l’art de m’emmener ailleurs, de me faire voyager dans des mondes inattendus, toujours riches et imprégnés d’une imagination débordante.
Ici, il m’a transporté dans un univers fantastico-médiéval peuplé de créatures étonnantes, des êtres mi-hommes mi-animaux, régis par les lois immuables de l’Humpur. J’y ai fait la connaissance de Véhir, un “grogne”, à la fois homme et cochon, paysan vivant dans une communauté qui ne tolère aucun écart. Mais Véhir, lui, refuse de se plier à cette obéissance aveugle. Il s’enfuit et, au fil de son chemin, découvre la forêt, ses dangers, et surtout la rencontre avec un autre grogne marginal, qui bouleversera son destin.
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt ce héros en quête de lui-même, qui peu à peu s’affranchit de son héritage pour trouver sa propre voie. J’ai aimé voir comment les prédateurs, d’abord menaçants, apprennent à le voir autrement que comme une simple proie.
Ce qui me fascine toujours chez Pierre Bordage, c’est la force de son imaginaire et la richesse de son propos. Même quand j’avais du mal à visualiser certaines de ces créatures hybrides, j’étais totalement happé par l’histoire, par son souffle et sa profondeur.
Derrière cette fable, on retrouve des thèmes universels, le poids des croyances, la différence, la tolérance, le respect de l’autre. Des thèmes qui résonnent fort, portés par une écriture fluide, poétique et pleine de malice. J’ai pensé à Orwell (La ferme des animaux), à La Fontaine et à ses fables, mais aussi à ces contes intemporels qui ont baigné mon enfance et mon adolescence, qui, sous couvert d’animalité, nous parlent en réalité d’humanité.
Et puis il y a aussi cette romance inattendue, entre un grogne et une louve, qui apporte une tendresse particulière au récit. La fin, d’ailleurs, est à la hauteur de tout le chemin parcouru, émouvante, lumineuse, inoubliable.
Pierre Bordage signe encore une fois un roman unique, une fable humaniste qui me restera longtemps en mémoire.
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Extraits :
« Souvent les puissants prêchent la fausse vérité, Malheur à celui qui proclame la vérité vraie. »
« Ce n’est parce que les uns ripaillent les autres que les uns sont supérieurs aux autres […]. Un ordre invisible gouverne le monde, où les faibles ne sont pas toujours ceux qu’on croit. »
« Les couches de savoir s’empilent les unes sur les autres, nous empêchent de nous regarder au plus profond de nous-même, de dompter cette violence animale qui grossit à notre insu et finit par nous déborder. »
« Nous sommes tombés bien bas pour séparer les troïas de leurs petits, reprit Jarit en se secouant comme pour chasser ses souvenirs. La mère ne fournit pas seulement le lait à son nourrisson, elle arrose ses racines de tendresse, elle lui permet de se dresser vers les cieux comme un chêne ou un hêtre. »
« Ils avaient connu une civilisation magnifique, supérieure sur tous les plans à l’organisation des clans – il suffisait, pour s’en convaincre, de découvrir quelques-unes de leurs merveilles qui avaient résisté à l’œuvre destructrice du temps -, mais il s’était passé quelque chose, un événement, un désastre, qui les avait entraîné dans la chute. »


Pierre Bordage est né en janvier 1955 à la Réorthe, en Vendée. Après une scolarité sans histoire, neuf ans de karaté et quelques cours de banjo, il s’inscrit en lettres modernes à la faculté de Nantes et découvre l’écriture lors d’un atelier en 1975. Il n’a encore jamais lu de SF, lorsqu’il est amené à lire pour une dissertation Les chroniques martiennes de Ray Bradbury, qui est une véritable révélation. Découvrant à Paris un ouvrage d’Orson Scott Card édité par l’Atalante, il propose Les guerriers du silence à l’éditeur qui l’accepte. Il a publié depuis de nombreux ouvrages, qui bénéficient de la reconnaissance des amateurs et des professionnels de la science-fiction à travers notamment le Grand Prix de l’Imaginaire ou le prix Bob Morane.
