Amour, Émotion, Conte, Magique, Psychologie

Notre part féroce

de Sophie Pointurier
Broché – 21 août 2025
Éditeur : PHEBUS

Pour certains, l’enfance est un paradis perdu. Pour Anne, c’est une terre aride. Fuir, briser sa chaîne, vivre sa vie, c’est tout ce qu’elle espérait. Devenue mère, la voilà rattrapée par son histoire. Et une obsession : comprendre la femme qui l’a élevée seule.

Anne est journaliste. Son dernier article, écrit en réaction au procès d’un chasseur jugé pour avoir tué une louve, la plonge dans une tempête médiatique. Mise en retrait des sujets sensibles, elle s’offre une parenthèse estivale et embarque avec elle sa fille, sa mère et sa vieille amie. Mais dès leur arrivée, l’étrange s’invite dans leur quotidien : événements inexpliqués, coïncidences, déjà-vu… Les détracteurs de Anne auraient-ils décidé de ne plus la laisser en paix ? Ou est-ce autre chose, de plus ancien et de plus sauvage, qui s’éveille autour d’elle ?

Odyssée de femmes, fable contemporaine, voyage palpitant au cœur d’une mélancolie familiale, roman sur les mythologies et la violence qui nous peuplent, Notre part féroce pose une question : jusqu’où peut-on aller pour réparer notre enfance ?

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Merci à toute l’équipe de Babelio pour cette excellente soirée, où Sophie Pointurier a su trouver les mots qui nous ont tous touchés…

J’ai découvert Sophie Pointurier avec Notre part féroce, un roman surprenant, audacieux et une écriture vive qui m’a accroché dès les premières pages. Je ne savais pas où j’allais, et c’est sûrement ce qui m’a le plus séduit, cette impression de me laisser entraîner dans un récit qui m’échappait sans cesse, qui changeait de peau à mesure que je tournais les pages. J’ai rarement lu un roman qui se transformait ainsi entre le début et sa fin, lentement, mais résolument !

Au départ, tout semble familier, presque banal. Je lis tranquillement, confortablement installé sur mon canapé, et je me dis que je tiens entre mes mains une histoire de famille comme tant d’autres. Mais peu à peu, les choses basculent, se bousculent. Les premiers signes étranges apparaissent, les questionnements autour du paranormal s’invitent, les mythes surgissent, puis les fissurent de la réalité. J’ai senti l’ambiance se charger, mon confort s’évaporer, et j’ai adoré ça.

Le roman se déploie alors dans une dimension à la frontière du réel et du fantastique, assumant une normalité déroutante où les loups-garous et les dames blanches semblent avoir droit de cité.
Trois femmes, trois générations, trois forces de caractère qui s’entrechoquent, Anne, journaliste, sa mère Scarlett, abîmée par la vie, et Rose, sa fille, témoin d’un monde qui lui échappe encore. Leurs personnalités fortes, parfois borderline, se heurtent, s’entremêlent, et rendent ce récit aussi intime que troublant. Elle seront rejoint par une voisine de Scarlett, une femme alcoolique devenue son amie, qui aura aussi son importance.
Sophie assume son histoire à la limite du fantastique avec beaucoup d’aisance, avec une normalité assumée même, elle nous livre non pas une aventure féminine, mais trois qui s’entrechoquent avec leurs trois personnalités puissante et borderline, trois générations bien distinctes.

Ce que j’ai trouvé fascinant, c’est la manière dont Sophie s’appuie sur les mythes pour raconter la famille, ses fractures, ses silences, ses blessures invisibles. J’ai aimé ce double niveau de lecture, une histoire de femmes, mais aussi un miroir tendu à nos ombres, à ce que nous portons de sauvage et d’incontrôlable. À travers Anne, écartée de son travail après un article polémique sur les loups, j’ai suivi leur voyage à Palavas-les-Flots, censé être une parenthèse, mais qui vire à l’inattendu et se transformera en quête identitaire, en confrontation avec l’Histoire familiale, voire même une plongée dans l’inexpliqué.

Notre part féroce est un roman qui m’a happé par ses mystères et ses résonances, mais pas que. C’est une lecture originale et envoûtante, où la petite histoire se mêle à la grande, et où chaque page semble nous rappeler que nos mythes intimes, eux aussi, ont toujours faim.

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Extraits :

« Ce qui se passe la nuit n’est jamais entièrement vrai, ce qui se passe le jour non plus. Cette nuit, j’ai rêvé que je prenais un médicament qui devait m’aider à mourir. Dans ce rêve, quelqu’un me tendait un cachet blanc ; je l’avalais et puis j’attendais. On me disait: ton cœur va s’arrêter dans quelques minutes. Je sentais mon cœur ralentir, il battait de plus en plus faiblement, mais ne s’arrêtait pas. J’avais mal, les heures passaient, des inconnus allaient et venaient dans la pièce. Ils discutaient comme si je n’étais pas là, inquiets, et moi je ne mourais toujours pas. »

« D’aussi loin que je me souvienne, maman avait toujours eu mal. « J’ai mal dormi » était la première phrase que j’entendais le matin au réveil. La tête, le ventre, le dos, elle avait mal partout et s’en plaignait généralement tout le temps. Je partais à l’école en sachant que je la retrouverais à 16 heures à l’endroit exact où je l’avais quittée, et qu’un compte rendu exhaustif de sa condition m’attendait pour le goûter. »

« Je crois que je rêve, ou je rêve que je me réveille. Je suis dans mon lit, j’entends des voix. Quelqu’un marche autour de moi, je perçois le bruit de ses pas sans pouvoir bouger. Mon corps ne répond pas, je veux crier mais aucun son ne sort de ma bouche et ça me tétanise. Je me vois d’en haut, allongée, le corps distinct de mon esprit.
Quelqu’un m’observe, il y a une présence, forte, presque inquiétante. Peut-être que c’est moi qui marche autour de moi, sinon, qui d’autre me ferait peur comme ça ? »

« J’ai ramené maman à la maison en me demandant comment elle avait bien pu se retrouver sur cette route en pleine nuit. Elle avait parcouru plusieurs kilomètres de La Grande-Motte jusqu’ici dans un état second et j’envisageais toutes les raisons possibles: un mélange de somnifères et d’anxiolytiques, un début d’Alzheimer, une amnésie dissociative. Aucune de ces perspectives n’était rassurante. Je lui répétais qu’elle me fichait la trouille à jouer avec sa santé, mais elle n’entendait pas.
– Tu es venue en stop, tu as pris le bus ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
Elle ne se souvenait de rien.
– J’ai marché…
– Mais tu as souvent des crises de somnambulisme ? Je vais en parler avec Rose. Ça va pas du tout là… »

Sophie Pointurier est enseignante-chercheuse et directrice de la section Interprétation en langue des signes à l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) – université Sorbonne-Nouvelle. Son deuxième roman, Femme portant un fusil, a conquis les libraires et les lecteurs.

Publications :
– Théories et pratiques de l’interprétation de service public
– La femme périphérique
– Femme portant un fusil
– Le Déni lesbien, celles que la société met à la marge
– Notre part féroce

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