de Lou Valérie Vernet
Broché – 22 juin 2023
Éditions : M+

Pour la première fois, il tourne le dos à la caravane, au bois, à tout ce qu’il connait. Il tourne le dos au père et il répète : Je pars. Qu’est-ce qu’il pourrait dire d’autre ? Je pars pour dire le poids du corps, la brûlure du silence, la solitude, l’inévitable et le devoir. Je pars pour dire en un mot ce que mille ne sauraient révéler. Pour ne pas user le peu de force qu’il lui reste et d’un geste de la main montrer au loin ce qu’il laisse en haussant les épaules…. Un silence à hauteur d’homme, tapi dans le coeur d’un enfant.
Ainsi débute l’histoire de Pepo. Une nuit de décembre, le père meurt. Commence alors pour l’enfant un long chemin d’apprentissage pour revenir au centre des hommes et de la Ville, celle qui, parait-il, avale la tête des gens. Tiraillé entre le besoin de vivre sa propre destinée et celui de ne pas trahir ses origines, il n’aura de cesse de faire des allers-retours entre sa vie d’enfant sauvage et son envie de retrouver une place dans le monde.
Une histoire forte, universelle, incarnée.
Véritable ode à la liberté et à la littérature.

Je suis un peu sonné.
J’ouvre un œil. D’abord, le gauche, le droit suivra très vite.
Où suis-je ?
J’entends une respiration tout près de moi. Une personne qui a l’air assoupi. Je n’ose pas me retourner, mais j’ai bien peur de deviner…
Certains de mes souvenirs reviennent. Je me rappelle. Je sais pourquoi je suis là, dans cette chambre. Rigolo n’a pas eu autant de chance que moi… Je pense très fort à toi mon ami, mon seul ami.
Soudain des bruits dans le couloir. La respiration rassurante cesse soudain. Elle s’est réveillée. Elle. C’est forcément elle. Mais je ne suis pas encore prêt, mais alors pas du tout…
Le temps s’est suspendu.
Gilbert Cesbron disait, : “le bonheur, c’est quand le temps s’arrête.”
Aujourd’hui, je doute de sa phrase.
Je referme les yeux. Elle finira bien par partir… ensuite, j’aviserai…
Envie de disparaître…
Lou Valérie Vernet, signe ici, pour moi, son plus beau roman…
Très tôt, dans ma lecture, j’ai pris la main de Pepo afin qu’il m’emmène avec lui dans son aventure. Une aventure atypique où chacun de ses questionnements trouve un sens. Telle une plante, au moment où il en a le plus besoin, Pepo perd son tuteur, son père, son repaire…
Il a tout juste sept ans et devra se découvrir, lutter, s’accrocher à cette nouvelle vie, riche en émotions, qui lui tombe dessus.
Malgré la disparition de son père, il est toujours là, présent dans sa tête et dans son cœur, tel un phare qui le guide à travers les jours qui passent, à travers sa vie, mélange de certitudes et de trop nombreuses hésitations.
Un roman superbe qui aborde les questions de la vie. Lou ne triche pas. Tous les thèmes seront abordés, car pour pouvoir grandir, Pepo doit savoir. Savoir regarder, savoir comprendre et parfois savoir accepter.
Lou a suspendu le temps avec ce roman initiatique qui m’a envoûté, par son mélange de poésie, d’idéologie, de sagesse et de philosophie…
Coup de cœur magique !
“Vient Pepo ! Donne-moi ta main, et allons ensemble…”
Un grand merci à M+ éditions.
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Extraits :
« Douze heures plus tard, Elya regarde dormir Pepo, se demande s’il va se réveiller. Il n’a toujours pas bougé. Elle en est certaine, il a la même position qu’en s’écroulant sur son lit, recroquevillé sur lui, emmitouflé dans son blouson, tout habillé, son sac à dos dans les bras, serré contre lui. Comme un trésor auquel il s’accroche. Ou qu’il protège. Sorte de bouclier qui l’isole des autres, fait rempart. »
« Le père dirait sûrement que Pepo file un mauvais coton. Qu’une journée sans apprendre est une journée perdue. Qu’à ce train-là, il ne grandira jamais. Parce que si tu n’apprends rien, tu ne grandis pas. T’es juste une larve de plus qui se répand à la surface de la terre. Et que s’il continue, il va se fâcher tout rouge. Ah oui, les expressions du père, avoir une peur bleue, broyer du noir, voir la vie en rose, être blanc comme un linge, rire jaune, voir rouge, être vert de rage… »
« Le père qui était pourtant le sien n’a jamais permis qu’il l’appelle autrement. Aucun possessif n’était jamais rentré sur leur territoire. Que cette appartenance leste l’enfant d’une insupportable responsabilité ou d’un quelconque devoir pouvait le rendre hargneux. On vient au monde pour expérimenter la vie, Pepo, pas pour porter des fardeaux, encore moins ceux des autres. Ceux qui voudront te faire croire le contraire, fuis-les. Quoi que tu choisisses de faire, ne le fais jamais que par passion, envie, conviction. »
« Trois événements majeurs ont tout de même inscrit leur mémoire au-delà du quotidien. Comme des balises sur le chemin, des sortes de signes diront plus tard Carmen et Isabella. Car tout de même, qui peut grandir ainsi, sans jamais tenir la main de personne, juste là, posé au milieu d’eux. Pepo plus sauvage que ne l’était le père.
Plus solitaire et taiseux aussi. Présent, serviable, presque docile mais en retrait, à fleur de peau, constamment en alerte, sur le qui-vive. Jamais complètement serein, confiant, joyeux. Sans attachement autre que Rigolo. Sa seule source de chaleur, de souffle, de peau, de caresse, de mains et pattes tendues. »
« Parce qu’au fond, le Pepo qui dort en chacun de nous, c’est une liberté d’être sans autre loi que la sienne, poussée dans ces retranchements, condamnée à une solitude définitive et même pour ainsi dire, crevant d’aberration, incapable de nouer du solide, du durable ou de rester dans un endroit, au risque de se faire absorber puis d’avoir à partir et désirant dans le même temps qu’une main plus légère et plus forte, une main comme celle d’Isabella, de toutes ces femmes plus grandes que des dieux le sauve, l’élève, lui fasse courir le risque du renoncement, de l’acceptation, des deuils accomplis, des peurs enfin rejetées, repoussées, terrassées. C’est une histoire qui ressemble à la sienne dans toutes les histoires du monde, en train de sécher sur le grand Arbre à Feuilles, qui n’épargne à personne le devoir d’éprouver au moins une fois le silence, la douleur, l’absence, l’impuissance alors même que la force du chaos nous propulse dans l’existence sans autre apparat que notre propre humanité.
Fragile et dérisoire. »
Lou Valérie Vernet signe ici, avec Grand comme le monde son tout premier roman. Auteure multicartes, elle a déjà publié trois thrillers, deux polars et sept autres livres passant du récit humoristique aux fragments de voyage, du Feel Good au spicilège poétique, du recueil de nouvelles au théâtre. Tous ses ouvrages confirment son talent à manier en virtuose l’art de la mystification et à sonder les profondeurs de l’âme. Par ailleurs, photographe amatrice, baroudeuse des grands espaces, essayiste et poète à la plume acérée, elle n’en reste pas moins attachée à sa devise préférée « Ne prenez pas la vie au sérieux, de toute façon vous n’en sortirez pas vivant ». B. Fontenelle.



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