de Marie Mangez
Broché – 23 août 2024
Éditions : Finitude Éditions

Arnaud Daguerre est Grand Reporter au Miroir, un hebdo d’investigation. Ses reportages passionnants lui valent les éloges des lecteurs autant que de la profession, qui n’hésite pas à lui décerner le prestigieux prix Albert Londres. Et pourtant. Sa série sur les banlieues ? Il n’a osé interviewer personne. Son reportage en Grèce ? Il n’a pas quitté son hôtel. Son portrait de Julian Assange ? Il ne l’a jamais contacté. Bien trop timide. Et ce depuis toujours, depuis cette enfance rêveuse, quand il parcourait le monde sans quitter sa chambre.
Pour ficeler un bon reportage, eh bien c’est pareil : il suffit d’inventer, de broder avec quelques lambeaux de réel. C’est si facile.
Mais il y a un prix à payer : la peur d’être démasqué à chaque parution, chaque semaine, cette peur qui vous ronge les entrailles sans répit. D’autant qu’à la rédaction, on s’interroge sur la facilité avec laquelle ce jeune collègue trouve toujours le bon témoin, la bonne histoire…


Dans le cadre de l’un de nos dîners du Cercle littéraire du Château de l’Hermitage,
nous avons eu hier soir le très grand plaisir de recevoir Marie Mangez.
Un moment plaisant où les conversations ont pris un certain tournant,
où les discussions se sont un peu envolées…,
mais c’est aussi ça, une soirée de discussions !

Arnaud, âgé de sept ans, est un enfant timide et rêveur qui se laisse souvent emporter par son imagination. Un jour, lors d’un cours, suite à une erreur sur un contrôle, il mélange le nombre 69 avec 96. Malgré un raisonnement juste, sa maîtresse lui met la note de 1/10. Trouvant cela injuste, il imitera son écriture et transformera le 1 en 10. Ce n’était pas la première fois qu’il transformait la réalité, mais ce jour-là fut décisif.
Malgré l’opposition de ses parents distants et très stricts, Arnaud, qui a connu une enfance difficile et complexe, envisage sa carrière dans le journalisme. Décision a priori étonnante pour ce jeune homme timide et effacé. Son premier reportage en tant qu’adolescent se déroulera à La Courneuve. Une fois sur les lieux, c’est le désastre. Tout se brouille dans son esprit. Il est dans une impasse et n’ose pas poser des questions à gens qui l’entourent et pourraient le renseigner. Comment va-t-il s’y prendre ? Il est impératif qu’il restitue cet article comme prévu !
Heureusement, son imagination lui permettra de rapidement trouver une autre solution.
Ce sera une réussite !
Progressivement, les opportunités se présentent à lui et il obtient le poste de journaliste attitré au journal “Le Miroir”. Estimé par ses pairs et ses supérieurs, apprécié de son public, tous ses reportages se construiront uniquement dans sa tête sans sans qu’il ait à se déplacer. Commencera alors pour lui une vie pleine de gloire qui lui renvoie sans cesse un sentiment de culpabilité et la peur constante d’être découvert…
Dans son roman, Marie Mangez aborde un thème original et bien développé, malgré un début que j’ai trouvé un peu long et qui a failli me perdre. Mais, petit à petit, j’ai trouvé ça et là certains repères qui me parlaient résonnaient en moi, qui m’ont captivé, avec même parfois une certaine poésie qui m’a accompagné tout au long de ma lecture que j’ai finalement trouvée un peu ”trop brève“. Marie a réussi à trouver des mots justes, simples, qui m’ont permis d’entrer dans la tête, déjà surchargée de notre héros, dans ses pensées complexes qui débordent d’imaginations et résonnent de malhonnêteté où il s’enlisera chaque jour un peu plus.
Un récit intéressant et original qui incite à réfléchir sur l’univers du journalisme et ses divers aspects où la pression et l’aspiration à la réussite pourraient, compte tenu des ressources actuelles, influencer les idées, voire générer des “fakenews” en fonction des désirs des journalistes, qui pourraient ne plus être en quête de vérité.
÷÷÷÷÷÷÷
Extraits :
« Le jour où Arnaud est devenu faussaire, il avait sept ans. L’âge de raison. Affirmer, toutefois, qu’il s’agit de son premier fait d’armes serait mentir. En réalité, ce jour d’octobre 1988, le terrain est déjà préparé depuis longtemps. Mais à ce moment-là, Arnaud ne le sait pas, ou bien de façon confuse. Il ne sait pas qu’il pousse, depuis sa naissance, dans le terreau fertile des choses non dites, dans la poussière invisible des squelettes du placard. »
« Faire les choses bien. Ne pas se tromper, jamais.
Arnaud a appris, depuis sa plus tendre enfance. Appris à ne pas décevoir, à deviner les attentes pour s’y glisser comme dans un étui de protection. »
« C’est bien. Dans la bouche avare de son père, ces quelques mots ont le poids et l’éclat d’un lingot d’or. Jusqu’alors, les parents Daguerre ont suivi le parcours de leur rejeton d’un œil qui, sans être désapprobateur, ne rayonnait pas franchement d’enthousiasme. Ils auraient préféré qu’Arnaud, après Sciences Po, embrasse une carrière administrative : du stable, du solide, une valeur sûre. Mais le stable et le solide n’ont, hélas, jamais intéressé le rejeton en question, resté cramponné à sa lubie enfantine, attiré vers le mouvant, le changeant, l’éphémère, et vers une profession chaque jour plus précaire. »
« Arnaud ne s’ennuyait jamais, dans sa solitude peuplée de journaux, de livres et de rêveries. Mais il lui semblait, parfois, que son cœur sonnait vide; alors il redoublait d’efforts pour le remplir, tout seul, faute de mieux, le remplir de Léonards, de contrées lointaines et d’aventuriers sans peur. »


Doctorante en anthropologie à l’Université de Paris, Marie Mangez voyage régulièrement entre la France et la Turquie afin de conduire des recherches sur les minorités religieuses. À côté de sa thèse, elle publie en 2021 son premier roman, Le Parfum des cendres, dans lequel Sylvain, thanatopracteur, et Alice, étudiante en stage, devront essayer de cohabiter dans un climat inexpliqué de tension.
Marie Mangez découvre le sujet de la thanatopraxie par le biais de ses études et décide d’en faire le métier de son personnage principal, dans un roman qui mêlera mystère et sensibilité. Par le biais de ce roman, elle nous plonge dans un univers mélancolique et énigmatique, dans lequel nous devrons découvrir le secret bien gardé de l’impénétrable personnage principal, en décryptant les indices disséminés par l’autrice dès les premières pages. Finalement, entre le mystérieux embaumeur qui sent les morts, et la jeune étudiante déterminée, l’harmonie est difficile, mais pas impossible…
- Le parfum des cendres (2023)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/01/15/le-parfum-des-cendres/
