Drame, Folie, Polar, Thriller

Asphalte

de Pascal Alliot
Broché – Avril 2025
Éditeur : Hugo Stern

Sophie Debreuil se voit dépositaire d’un bon de sortie. Trois mois, voire un peu plus, qu’elle croupit là, dans ce lieu aseptisé dans lequel tout est dédié au sommeil et à l’oubli à tout prix. Le repos pour ne pas sombrer dans les couloirs désastreux des souvenirs tenaces, ceux-là mêmes qui vous pourrissent le cours désuet de votre désuète existence. Une chape de plomb scellée à vos pieds et vous entraînant irrémédiablement vers les profondeurs noires et inquiétantes, même troublantes, d’un lac dans lequel on vous a jeté, sans préavis, par volonté de vous tuer l’âme. Une histoire sordide de lande désagrégée, de tueur machiavélique et Darius Maloberti, un prêcheur délirant, la placent dans une sorte de coma passif. Dormir pour oublier, oublier que l’on dort. Un chaînon embarquant l’autre dans une histoire, celle de la douleur intérieure, la cicatrice pas réellement fermée d’une chute vers les bas-fonds d’un monde en fusion. Celle de son équilibre sur cette terre de cendres.

J’ai terminé le dernier roman de Pascal Alliot, que j’ai lu d’une traite, cette nuit avec le souffle court, comme si la noirceur du récit s’était lentement infiltrée en moi. Cela faisait longtemps qu’un polar ne m’avait autant secoué. Pascal signe ici un roman puissant, où l’ambition narrative rivalise avec la précision chirurgicale du style.

L’histoire se déroule dans une grande ville portuaire du sud de la France, jamais nommée, mais si bien décrite qu’on en devine chaque recoin. Cette ville, l’auteur la connaît intimement, et cela se sent. Elle devient un personnage à part entière, gangrenée par la violence, les trafics, les tensions sociales et la corruption. Une ville étouffante, écrasée de soleil et plus encore par la rage.

Au cœur de cette fresque urbaine, j’ai suivi de très près Sophie Debreuil, commandant de police, une femme forte et plus encore, et son adjoint Davos, son pilier, dans une enquête qui dépasse très vite les codes du polar pour glisser vers le thriller politique et social. Corruption, extrémisme, dérives du pouvoir… Tout y passe, sans jugement, dans un récit où le mal n’a pas toujours le visage que l’on croit.

Ce qui m’a beaucoup plu, c’est l’évolution du style de Pascal. Sa plume, que je connaissais déjà acérée, gagne ici en profondeur. Il alterne les flashbacks, les scènes d’actions nerveuses et les instants de réflexion, sans jamais perdre le rythme. Un vrai tour de force.

Asphalte n’est pas qu’un roman noir, c’est un uppercut littéraire. C’est un miroir brisé qui reflète le prisme de notre époque, c’est une plongée brutale dans les profondeurs d’un monde en chute libre, une œuvre qui dérangera peut-être certains lecteurs.
Vous pourrez essayer de l’oublier… mais vous n’y parviendrez pas !
Certains passages particulièrement captivant une fois lus et visualisés ne s’effaceront plus jamais…

Un polar à part, unique, très loin de tout ce que j’ai pu lire jusqu’à présent.
J’oserais même dire, “un POLAR version 3.0” !

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Extraits :

« Soleil de plomb arrivé bien trop tôt pour la saison. Qui a pris, une fois encore, tout le monde à court. Chaleur étouffante qui vous emporte sans crier gare vers une sorte d’agonie lascive.
Au loin, des bruits de pneus fracassant la gomme contre le bitume, et puis un coup de feu suivi de trois autres. Comme souvent par ici. Un jeune mec, une balle en pleine tête, s’effondre, abattu, tué sur le coup. Il en tombe des dizaines par an, des serviteurs de l’Enfer. »

« Tout le monde garde en mémoire les photos parues dans la presse, le reportage lors du journal télévisé, montrant neuf cadavres, emballés tels des pharaons, à l’aide de tissus d’un blanc magnifique, dont on a explosé la tête au préalable, sûrement à l’aide d’une masse, et dont le faciès se voyait absent. On les a pendus par les pieds, avec une solide corde, à l’entrée de l’artère principale de la ville, sur les contreforts du tunnel de la Barguèse. Ils se balançaient là, comme des cocons de papillons de nuit qui ne voulaient plus naître, des sphinx de la mort. Mise en scène insoutenable. Mais ô combien efficace ! »

« Sophie Debreuil se voit dépositaire d’un bon de sortie. Trois mois, voire un peu plus, qu’elle croupit là, dans ce lieu aseptisé dans lequel tout est dédié au sommeil et à l’oubli à tout prix. Le repos pour ne pas sombrer dans les couloirs désastreux des souvenirs tenaces, ceux-là mêmes qui vous pourrissent le cours désuet de votre désuète existence. Une chape de plomb scellée à vos pieds et vous entraînant irrémédiablement vers les profondeurs noires et inquiétantes, même troublantes, d’un lac dans lequel on vous a jeté, sans préavis, par volonté de vous tuer l’âme. »

« Elle quitte alors la douche, repue, lessivée des plus convenablement par ce savon-douche qu’elle fait rentrer en douce en amadouant malicieusement un jeune infirmier tombé sous le charme de cette délicieuse blonde désormais trentenaire au regard de braise. Elle a maintenant les cheveux très courts, témoins d’une nouvelle étape de sa vie.
Alors, parer au plus urgent est élémentaire : s’habiller, sortir de la chambre, remplir les ultimes papiers et se sauver à toutes jambes loin de ce lieu funeste. Prendre un taxi ou un bus et regagner son domicile. En toute hâte. »

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Archéologue céramologue, Pascal Alliot vit en Espagne, près de Barcelone.
Avec son premier roman, Journal ordinaire d’un assassin pas ordinaire, l’auteur nous entraîne dans un imaginaire brutal, onirique, riche et haletant, nous faisant visiter les tréfonds de l’âme tourmentée d’un meurtrier.
Écrivain discret mais prolifique, il s’est imposé au fil des années comme l’une des voix les plus singulières du polar français contemporain.

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