de Carole Martinez
Poche – 6 avril 2017
Éditions : Folio

Blanche, la môme chardon, est-elle morte en 1361 à l’âge de douze ans comme l’affirme son fantôme ? Cette vieille âme qu’elle est devenue et la petite fille qu’elle a été partagent la même tombe. L’enfant se raconte au présent et la vieillesse écoute, s’émerveille, se souvient, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l’y attend. Veut-on l’offrir au diable pour que le mal noir qui a emporté la moitié du monde ne revienne jamais ? Un voyage dans le temps sur les berges d’une rivière magnifique et sauvage, la Loue, par l’auteur du Domaine des Murmures et du Cœur cousu.

J’ai refermé La Terre qui penche avec le sentiment d’avoir traversé un rêve sombre, un conte médiéval d’une beauté étrange. C’est le troisième roman de Carole Martinez que je lis, et encore une fois, elle m’a emporté ailleurs. Après Dors ton sommeil de brute, qui m’avait permis de découvrir un monde très personnel et Le Cœur cousu, qui m’avait laissé tellement de souvenirs incroyable, j’avais de nouveau envie d’être surpris, mais je ne m’attendais pas à ce voyage-là.
Je dois l’avouer, les premières pages m’ont dérouté. Le style me paraissait lourd, les phrases ciselées comme de la dentelle, demandaient de l’attention, le récit, dense et travaillé, m’obligeait parfois à revenir en arrière. Puis, peu à peu, mon esprit s’est laissé prendre par le rythme, happé par cette atmosphère particulière et romanesque, par cette langue poétique et ces tournures d’un autre temps. L’histoire, ancrée au Moyen-âge, a commencé à me murmurer ses secrets, et je n’ai plus lâché le livre.
Deux voix s’y répondent, deux femmes, “La vieille âme”, et “La petite fille”, Blanche. Elles sont à elles seules les piliers de cette histoire. Elles alternent, se complètent, et dessinent une fresque où se mêlent la rudesse de la vie médiévale et la magie des légendes. On croise des enfants-chien, l’ogre de la forêt qui ne s’intéresse qu’aux femmes… et d’autres créatures nées de l’imaginaire et de la peur. Entre réalité et surnaturel, la frontière est mince, comme elle devait l’être à l’époque.
“La petite fille” m’a particulièrement touché. Confrontée à la cruauté des adultes, aux non-dits, elle cherche à comprendre ses origines et finit par découvrir un frère, un père, une mère… Les révélations s’enchaînent, parfois brutales, mais toujours empreintes de cette poésie sombre qui caractérise l’auteure.
Il y a dans ce roman une force étrange, il nous parle de fragilité, de violence, d’amour et de rêves, tout en tissant une atmosphère envoûtante. Ce n’est pas un livre qu’on lit vite, mais qu’on savoure, mot après mot, comme on écouterait un vieux récit conté à la lueur des chandelles.
Réservé à un public averti peut-être, suite à certaines scènes qui pourraient heurter la sensibilité des plus jeunes, ce récit m’a entraîné dans cette poésie d’outre tombe où, on le comprends assez vite, les deux « âmes » se complètent.
Bravo Carole et merci… J’ai encore une fois été surpris et bouleversé.
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Extraits :
« À tes côtés, je m’émerveille.
Blottie dans mon ombre, tu partages ma couche.
Tu dors, ô mon enfance,
Et, pour l’éternité, dans la tombe, je veille.
Tout aurait dû crever quand tu as gagné ton trou, gamine,
Au lieu de quoi la vie a dominé, sans joie.
Seule la rivière a tenté quelque chose pour marquer ton départ, ma lumineuse. »
« Je cause ! Je sais bien que je cause. Je sais que je n’ai aucun secret pour qui dort à mes côtés et, comme une fille ne dort jamais seule, je suis un livre ouvert. Quoiqu’un livre, même ouvert, reste toujours fermé pour moi, puisque mon père se refuse à m’instruire, par peur que le diable ne s’insinue.
Il est filou, le diable, et agile, il se glisse dans les têtes par de toutes petites portes, un livre s’ouvre et le voilà qui pointe le bout de son nez entre deux pages. »
« Peut-être suis-je aussi vicieuse que le diable…
J’aimerais tant être un garçon et non une créature tellement fragile et mauvaise! Je pourrais alors rire fort, parler haut et porter mon regard loin devant, je pourrais marcher à grands pas en plein jour sans regarder mes pieds, et je ne craindrais plus ces mauvaises pensées qui me font systématiquement éternuer dès que je les ai durant la journée, car ni prier ni broder n’empêche l’esprit de virevolter, de s’égarer en fariboles, et souvent je me pique au doigt. »


Née en novembre 1966 à Créhange, Carole Martinez est romancière et professeure de français. Elle a notamment signé Le Cœur cousu (2007), auréolé de nombreux prix, et Du domaine des murmures, couronné par le Prix Goncourt des Lycéens en 2011. En 2015, elle publie La terre qui penche (Gallimard). Tentée par la littérature jeunesse – elle est l’auteure de Le Cri du livre, en 1998 – Carole Martinez se lance pour la première fois dans la bande dessinée en scénarisant Bouche d’ombre pour Maud Begon. Deux albums sont parus chez Casterman en 2014 et 2015.
- Dors ton sommeil de brute (2024)
https://leressentidejeanpaul.com/2024/10/14/dors-ton-sommeil-de-brute/ - Le Cœur cousu (2007)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/02/19/le-coeur-cousu/

Toujours pas tenté de la lire… ça a l’air particulier, cette fois…
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