Historique, Roman

La forêt des violons

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Philippe Lemaire
Broché – 10 septembre 2020
Éditeur : Éditions De Borée

Février 1917, St Petersbourg. La famille Malinovski vit richement de ses plantations de thé et de sa fabrique de samovars, indifférente aux événements qui agitent la capitale. Mais bientôt, la Révolution s’intensifie, et ils n’ont d’autre choix que la fuite. Après un long et dangereux voyage, ils atteignent enfin Nice : la famille est réunie, mais ruinée. Ensemble, ils vont pourtant s’inventer un nouveau destin. Kostia, le fils cadet, trouve un poste de livreur dans une fabrique de chocolat, où il rencontrera Marie-José… Quant à Elena, sa soeur, c’est une nouvelle fois sa passion pour le violon qui la sauvera…

 

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Je découvre la plume de Philippe Lemaire avec “La forêt des violons”.
Le style et le ton tantôt direct, tantôt imagé conviennent parfaitement à ce type de récit.
Me voilà en 1917, en pleine révolution russe avec la famille Malinovski.

L’histoire que nous conte Philippe est passionnante. La famille Malinovski, Adélaïde et Nikolaï, est une famille bourgeoise. Grande et belle maison, une usine qui fabrique des samovars à plein temps, des plantations qui produisent des feuilles de thés renommées dans toute la Russie et leurs deux enfants, Elena, virtuose au violon, Kostia qui veux s’engager dans l’armée. Une famille aisée et heureuse en apparence. Mais très vite, on se rendra compte que leur vie n’est pas si heureuse que ça…

Le roman est construit comme un dyptique.

Une première partie, la plus longue, nous raconte les affres de la révolution de 1917, la montée des bolcheviks, dont Lénine est le principal dirigeant, prenant violement le pouvoir en Russie, le Tsar déchu, les grèves dans les usines, des meurtres pour un oui, pour un non, la neige constamment tachée de sang…
Ne tenant plus et pour éviter au mieux la ruine, la famille Malinovski décide de quitter le pays. Commence alors une longue pérégrination à travers des contrées peu accueillantes gelées et enneigées. Leur route sera régulièrement semée d’embuches et d’étonnantes rencontres…

La seconde partie se veut plus calme, quoi que psychologiquement très dure à vivre pour les Malinovski qui se retrouvent en tant qu’émigrés dans la ville de Nice. Ils feront tout leur possible pour récupérer argent et statut social… J’ai malheureusement trouvé cette partie beaucoup trop courte, créant une sorte de déséquilibre au récit. Elle aurait méritée plus de pages à mon goût pour aller plus loin dans le développement final, à moins qu’une suite ne soit prévue !

Les passages qui évoquent la belle Elena et sa passion pour le violon sont superbes. Ce sont des instants entre parenthèses qui sont vécus dans un monde en plein chaos. On sent le bouillonnement qu’elle ressent lorsqu’elle tient son instrument entre ses mains.

L’écriture de Philippe est admirable et complètement adaptée à la période historique.

N’oublions pas les “seconds” personnages, développés au fur et à mesure du récit qui sont délicieux ou repoussants, Gradov, Kroutkine, Ephraïm, Sacha, Marie-José, pour ne citer qu’eux…

“La forêt des violons” est un roman très agréable, il m’a permis de m’évader dans un autre lieu, un autre temps…

Je le conseille à tous les amateurs du genre.

Un grand, très grand merci à Virginie Bourgeon des Éditions de Borée…

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Extraits :

« – Les cosaques, ils arrivent !
L’air sentait l’émeute et le crottin de cheval. Des silhouettes de cavaliers apparurent dans toutes les rues qui débouchaient sur la place. Kostia connaissait trop bien ce genre de manœuvre. Les cosaques bouchaient les issues avant de charger. Il n’en restait qu’une, la gare. Une vibration intense parcourut la foule. Mais personne n’osait encore bouger. Tout sembla figé dans un laps de temps interminable. Puis, soudain, une femme se mit à courir vers l’entrée de la gare. Elle trébucha et s’étala de tout son long dans la neige gelée. Elle se mettait à genoux quand un homme qui courait aussi la bouscula. Puis un autre. Un vent de panique s’était emparé des gens. La femme hurla. On la piétinait. Elle était trop loin pour que Kostia puisse lui porter secours. Elle tentait de se protéger la tête des coups de botte. La place fut bientôt vide. Il n’y eut plus, près de Kostia, qu’un marchand ambulant qui refermait et son éventaire. Il n’avait plus rien à vendre, mais il était resté pour voir ce qui allait se passer. Il recracha les graines de tournesols qu’il était en train de mastiquer, puis, désignant du menton les dernières personnes qui entraient dans la gare, il dit en s’adressant à Kostia :
– Ah ! Ils me font marrer avec leur révolution. Ce n’est pas en montrant leur cul au cosaques qu’ils vont gagner… Enfin, ce n’est jamais très agréable de prendre un coup de sabre dans le bide. Mais si les cosaques avaient voulu charger, ils l’auraient fait depuis longtemps. »

…/…

« Le silence s’éternisait. Un silence dense comme du plomb qui enferme chacun dans ses pensées. La petite fille aux yeux noirs s’était endormie contre sa mère qui lui caressait les cheveux. Même Adélaïde Ivanovna, qui n’avait jamais aimé les juifs, était ému. Kostia se releva pour remettre une bûche dans le feu, soulevant une gerbe d’étincelles. »

 

 

Philippe Lemaire a longtemps été journaliste, présentateur du journal télévisé de France 3 Rhône-Alpes Auvergne.

Auteur de chansons et réalisateur de films documentaires, il se fait remarquer dès son premier livre « Les Vendanges de Lison » (2003).

Il se consacre aujourd’hui à l’écriture. Il a notamment publié « La Mélancolie du renard » (2015), son son neuvième roman, « L’Enfant des silences » (2013) et « Rue de la côte-chaude » (2011). Il prouve une fois de plus son talent dans « La Forêt des violons », son seizième roman.

Ardennais, Il vit en Rhône-Alpes depuis de longues années.

Les racines de Philippe Lemaire, justement, ce sont les Ardennes. « Quand je reviens à Saint-Laurent, je ressens les choses différemment, je me sens heureux, simplement. C’est difficile à expliquer, c’est un peu comme si j’avais les ombres de mes grands-parents à mes côtés. »
Le cheval de bataille de l’écrivain, c’est aussi d’essayer de convaincre que la lecture, c’est indispensable. « Lire, c’est fondamental, explique-t-il. Cela permet de s’évader, de réfléchir, de structurer sa vie. »
Philippe Lemaire s’est mis à la lecture lorsqu’il avait six ans. « Ma grand-mère lisait des romans photos, ça a été mon premier vrai contact avec les livres. Et puis j’ai rencontré un professeur de Français en quatrième, qui écrivait des pièces de théâtre, et les choses se sont enchaînées. »
L’auteur ardennais met aussi, et surtout, de sa vie dans ses romans. « L’écriture traduit une émotion. Si j’angoisse, le lecteur s’en rendra compte. Si je suis tendu, heureux, cela se verra. Toute ma vie j’ai écris, je serais incapable de m’arrêter. Je pourrais même écrire s’il le fallait des modes d’emploi. C’est mon métier, c’est comme si j’étais artisan ou même employé, c’est comme ça. »
Et Philippe Lemaire a choisi son style. « J’écris des romans aux personnages simples. Je n’aime pas ls romans ”coffre-fort” où les lecteurs doivent chercher des combinaisons compliquées  », précise-t-il.

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