de Jacques Saussey
Broché – 10 janvier 2018
Éditeur : Éditions Toucan

Hiver 2015. Durant l’absence prolongée des propriétaires, une villa de la banlieue parisienne est le théâtre d’un crime atroce. Lorsqu’il arrive sur les lieux, le capitaine Magne découvre avec effroi que le corps n’est plus reconnaissable. Pas de vêtements, pas de papiers : l’identification s’annonce compliquée. Décembre 1944. Londres. Un officier américain scrute avec inquiétude le brouillard qui plombe le ciel de l’Angleterre. Il projette de traverser la Manche au plus vite pour rejoindre la France où il doit préparer l’arrivée prochaine de ses hommes. Le mauvais temps s’éternise mais bientôt, une proposition inattendue va faire basculer son destin. Soixante-dix ans plus tard, elle confrontera les enquêteurs du quai des Orfèvres à l’un des mystères les plus stupéfiants qu’ils aient jamais rencontrés.

Certains romans méritent une seconde lecture… 7/13 était une évidence pour moi… il attendait patiemment…
Dès les premières pages, lors de ma première lecture en juin 2018, j’ai su très vite que je tenais entre les mains un polar différent, plus dense, plus riche que ceux auxquels j’étais habitué dernièrement.
Le cadavre d’une femme atrocement mutilée ouvre l’histoire dans une violence brutale. Très vite, d’autres cadavres s’accumulent et l’enquête s’emballe. Mais alors que je pensais m’enfoncer dans un polar classique, Jacques Saussey me prend à contre-pied, casse le rythme. Le récit dévie. Jacques m’embarque ailleurs, dans une autre époque, en 1944, aux côtés d’un mystérieux officier américain en partance pour une mission étrange dans un avion sous le brouillard anglais.
Quel est le lien entre ces deux récits ?
Je l’ignore encore, mais je m’accroche. Parce que l’auteur sait exactement ce qu’il fait.
Lors de cette seconde lecture j’apprécie pleinement la façon dont l’auteur sème les informations, les distille avec finesse, Jacques excelle dans l’art de ce tissage très particulier. Il me balade entre présent et passé, entre drame intime et Polar à énigme historique. Puis, le nom de Glenn Miller surgit, et avec lui, une des plus grandes disparitions du XXe siècle. Jacques injecte dans son intrigue des thèmes forts : la mémoire, la guerre, les migrations, la douleur parentale, la vengeance sourde, l’impossible deuil, la culpabilité, la vengeance. Même dans l’horreur, Il insuffle dans son récit une certaine grâce.
Puis, un duo d’enquêteurs secondaires apporte une respiration bienvenue, avec une touche d’humour sans jamais dénaturer la gravité de l’histoire. Et derrière le suspense, se dessine une réflexion profonde sur ce que signifie survivre après l’irréparable.
L’écriture est tendue, sobre, parfois poétique. Jamais démonstrative, toujours juste. Ce roman ne cherche pas à résoudre, mais à nous confronter.
7/13, que j’ai lu en écoutant Glenn Miller, et d’autres standards du jazz évidemment… m’a secoué parce qu’il ne donne pas de réponses faciles.
Parce qu’il fait confiance au lecteur.
Parce qu’il transforme une enquête policière en descente vertigineuse dans la psyché humaine.
Et surtout il prouve, une fois encore, que la littérature noire peut être d’une richesse bouleversante.
Il serre la gorge, il bouscule. Il laisse une trace et m’a fait réfléchir…
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Extraits :
« 14 mars 2015
La maison est cossue. De type bourgeois, en forme de L, pierres de taille et allée pompeuse bordée d’arbustes coiffés au cordeau. Un terrain immense entretenu à grands frais, des fruitiers au fond, près de la rivière, des massifs de rosiers encore figés dans la fin de l’hiver, des crocus qui montrent le bout de la langue sous l’herbe pliée par la rosée.
Près du bâtiment, une piscine couverte s’avance sur le gazon.
Elle a été verrouillée pour la mauvaise saison. À travers la vitre salie par des fientes d’oiseaux et des feuilles mortes collées par l’humidité, j’aperçois l’eau qui a pris une vilaine.
couleur verdâtre.
– Venez, c’est par là.
Le commandant Picaud me désigne la porte de la maison.
Il m’explique qu’un serrurier l’a forcée deux heures auparavant pour conserver la scène de crime la plus intacte possible. Le meurtrier a fracturé une porte-fenêtre du salon.
L’Identité judiciaire est en plein travail, mais ils devraient avoir fini leurs investigations d’ici quelques dizaines de minutes. Dans l’air frais de ce début de matinée, les croassements des corneilles se répercutent à l’infini entre les branches bourgeonnantes des peupliers.
Il n’y a pas un bruit dans la rue, suffisamment éloignée de la bâtisse pour que personne n’ait pu y entendre le moindre cri. Et pourtant, de nombreux badauds se pressent contre la grille du parc que deux agents surveillent, l’œil farouche. Les regards des curieux alternent sans fin entre les hommes en blanc qui œuvrent autour de la maison et le fourgon mortuaire qui attend dans l’allée que les techniciens du crime donnent au légiste l’autorisation d’enlever le corps.
– Je vous préviens, c’est moche. »
« Le légiste se penche sur le cadavre et l’inspecte de près. Il suit la peau marbrée d’un doigt d’expert, pousse une bestiole par-ci, une autre par-là… J’ai soudain un goût de cendres sur la langue. Combien lui a-t-il fallu de manifestations de la mort pour qu’il parvienne à s’en affranchir autant ?
Combien de femmes, d’enfants, de corps meurtris a-t-il ouverts, découpés, vidés pour les besoins d’une enquête ?
Combien d’estomacs a-t-il pesé, disséqué pour savoir ce que la personne avait ingéré juste avant de mourir ? »
« Je rouvre les paupières. Il lui en a fallu, de la haine, à ce type. Un homme, c’est sûr. Je ne peux pas imaginer une femme infliger ça à une autre. C’est de la bestialité pure, la manifestation d’une fureur contre la féminité, peut-être même contre sa propre mère…
Je me prends les tempes dans les mains. Je déraille.
Comment pourrais-je concevoir ce qui a traversé l’esprit malade de ce dingue ? Je suis à mille bornes de m’approcher de ce qui l’a déclenché. Contrairement à de nombreuses autres affaires sur lesquelles j’ai eu à me pencher, celle-ci ne me parle pas. Je me trouve face à un mur de glace, un mur de ténèbres. »


Jacques Saussey est né en 1961, il écrit des nouvelles durant de longues années, entre 1988 et 2007. Après le premier prix au concours Alfred Jarry, cette année-là, il quitte l’écriture des nouvelles et entame son premier thriller, La mante sauvage, achevé en 2008. Ce thriller paraîtra le 3 janvier 2013 sous le titre Colère Noire.
C’est le second, De sinistre mémoire, écrit en 2009, qui a connu le premier les joies des rayons des libraires en septembre 2010. Ce roman est ensuite sorti en poche en juin 2011.
Son domaine : l’histoire noire. Très noire…
Il est désormais considéré par les critiques et les libraires comme l’un des “talents” dans le polar.
– Enfermé.e (2018)
https://leressentidejeanpaul.com/2018/11/12/enferme-e-de-jacques-saussey/
