de Camilla Gibb
Poche – 1 janvier 2003
Éditeur : Piment

Une petite fille nous parle. Elle se nomme Thelma et a tantôt la voix de Poil de Carotte, tantôt celle d’Alice au Pays des Merveilles. Elle veut nous révéler un secret, pour s’en débarrasser, pour survivre. Mais existe-t-il des mots qui forcent la vérité à rendre gorge? Guérit-on jamais d’une enfance saccagée? Du fond de sa nuit, Thelma appelle au secours. Elle croit que le roi est nu et les grandes personnes capables du pire. Elle accuse, dénonce, pleure mais rit aussi pour conjurer l’angoisse. «Aimez-moi », répète-t-elle, et le lecteur n’y résiste pas.
Gabrielle Rolin (traductrice de l’ouvrage)

En ouvrant La bouche pleine de mots de Camilla Gibb, j’ai compris très vite que ce roman ne me ferait pas seulement suivre une histoire, il allait me faire entrer dans la tête de la petite Thelma, une petite abusée par son père sous le regard silencieux d’une mère qui détourne les yeux. Très vite, je me suis retrouvé prisonnier de ses pensées, comme si son esprit devenait le seul lieu possible pour comprendre ce qu’elle vit, ou plutôt ce qu’elle ressent. Le monde autour d’elle reste flou, presque inaccessible, mais ce n’est pas là que le roman veut nous conduire. C’est en elle que tout se passe, dans ce territoire intérieur où personne n’écoute, personne ne veut voir, sauf moi, lecteur malgré moi devenu confident involontaire.
Thelma se dépeint tour à tour comme un insecte sur un mur, une petite fille perdue, une femme fracturée, presque folle. J’ai suivi ses angoisses, ses doutes, sa douleur qui ne dit pas son nom. Elle porte sur la peau et dans l’âme les traces d’un père destructeur, mais aussi celles de ses propres choix, dictés par la confusion et la survie. Malgré la noirceur, jamais je ne me suis senti étouffé, il y a, dans l’écriture de Camilla Gibb, une délicatesse qui laisse filtrer parfois de minuscules éclats de lumière, de poésie, de ceux qui empêchent le désespoir de tout engloutir.
Ce qui m’a le plus bouleversé, c’est la façon dont l’autrice explore l’instabilité mentale de Thelma. Son esprit se fragmente, se décompose, se recompose autrement pour supporter l’insupportable. Le récit navigue entre époques, perspectives et états d’être, comme si la narration épousait les fissures de sa psyché. Peu à peu, je comprends ce qui l’a menée là, ce lent glissement intérieur. Et pourtant, au cœur de cette déchirure, il subsiste une force improbable, une forme de courage qui m’a serré la gorge.
Mais le roman ne s’arrête pas à la chute. Il raconte aussi la résilience, la lente remontée grâce à ces mains inattendues qui se tendent, ces êtres bienveillants qui l’accompagnent hors du gouffre, doucement, patiemment.
Je me suis demandé régulièrement pendant ma lecture si ce roman n’était pas autobiographique. Trop de subtilités ici ou là qui ont leur importance, beaucoup trop d’importance…
J’ai refermé ce livre, profondément remué par ce récit brutal, mais traversé d’espoir. Un roman qui donne voix à une enfant qu’on n’a jamais voulu entendre…
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Extraits :
« Voilà d’où vient l’homme que nous appelons notre père : il est assis dans une grange avec ses frères Gar-reth et Timothy, par un pluvieux après-midi dans les collines des Costwolds. Garreth, son aîné de deux ans, a regagné le foyer pour les vacances de Pâques après avoir fini son second trimestre au collège de Wheaton.
La mère, surnommée “Houpette” à cause du doux nuage de cheveux gris qui encadre son visage, ne se lasse jamais de faire l’éloge de son grand garçon, “un vrai petit gentleman à présent”… Timothy, le dernier, âgé de cinq ans, est assis, muet, les joues gonflées en permanence de bonbons assortis qu’il stocke dans sa bouche. Quand il ne dort pas, il passe la plupart du temps sans prononcer un mot. »
« Longtemps, j’ai eu l’impression que les gens saisissaient parfaitement ce à quoi je faisais allusion et je m’étonnais de leur obstination à ne pas le montrer.
Plus tard, rentrée chez moi, je battais la campagne, cherchais mon chemin dans un enchevêtrement de fougères et de groseilliers tout en chuchotant dans le noir à mon amant imaginaire. Je lui décrivais ce petit univers parfaitement clos et silencieux réservé aux étrangers. »
« Le matin, j’avais un endroit où aller : ma jolie école. Là, j’avais mon pupitre bien propre et je m’exerçais à écrire dans mon cahier neuf, sous l’œil de la charmante Mrs Kelly. C’est elle qui me donna le carnet intitulé: « Mon autobiographie» dans lequel j’allais révéler qu’à ma naissance j’étais un bébé mort et de couleur violette. Elle manifesta de l’inquiétude mais ce fut la suite qui l’incita à téléphoner à mes parents pour leur demander un entretien. Le deuxième paragraphe lui semblait pire que le premier. “Je m’appelle Thelma et je suis née morte, mon corps saigne, parfois je me transforme en insecte ou en caillou dans la cave, en une brindille, je roule mes yeux dans ma tête pour voir l’intérieur. C’est tout rouge et saignant. Ce que je préfère, c’est me transformer en poney shetland ou aller à l’école.” »
« Quand j’arrivais en retard à la maison, Papa qui m’avait attendue pour m’aider à faire mes devoirs me disait que j’étais une mauvaise élève et m’ordonnait de me coucher pour recevoir un châtiment. A présent, cela m’était égal. Je le laissais jouer à ses jeux dégoûtants et rêvais à Mrs Kelly en pensant : “Bientôt, il ne pourra plus jamais me faire ça.” »


Camilla Gibb est née à Londres en 1961, d’origine canadienne.
Elle a terminé son doctorat en anthropologie sociale à l’Université d’Oxford en 1997, et elle a passé deux ans à l’Université de Toronto à effectuer des recherches postdoctorales avant de devenir écrivaine à temps plein.
Elle est l’auteure de quatre romans, Mouthing the Words (La bouche pleine de mots), The Petty Details of So-and-So’s Life, Sweetness in the Belly et Beauty of Humanity Movement.
Elle a été lauréate du Prix Trillium en 2006 et finaliste pour le Scotiabank Giller Prize en 2005 en plus d’avoir reçu le Book Award de la Ville de Toronto en 2000 et le Prix littéraire CBC (Radio-Canada) de nouvelle en 2001.
Ses livres ont été publiés dans 18 pays et traduits dans 14 langues. Elle a été écrivaine invitée à l’Université de Toronto et à l’Université de l’Alberta et est membre auxiliaire d’enseignement au programme de maîtrise en création littéraire à l’Université de Toronto.

Sujet très difficile… je préfère passer mon tour…
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Je te comprends…
Moi-même, j’avais longuement hésité avant de me lancer. Cela fait plusieurs années que j’avais ce roman et je ne me décidais pas.
J’ai installé sur mon ordi, il y a quelques mois une petite “ligne d’écriture” liée à Word où j’ai noté tous mes livres à lire. J’ai hésité tellement à choisir mes livres à chaque fois que cette nouvelle fonction choisie pour moi de façon aléatroire MA prochaine lecture, en dehors des SP, que je prévilégie.
Donc, ne n’ai plus le choix, lol !!!
Je lis le roman indiqué, et je ne réfléchi plus… Je gagne beaucoup de temps !!!
Bises
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C’est génial, cette idée !
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Oui !
Et surtout cela m’oblige à lire des livres que j’avais mis de côté depuis très longtemps…
Mais quand j’ai une envie, c’est quand même moi qui commande… non mais !!! lol
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