Émotion, Drame, Essai, Histoire vraie, Roman

À pied d’œuvre

de Franck Courtès
Broché – 24 août 2023
Éditions : Gallimard

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“Entre mon métier d’écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l’obscurité : il fait noir mais ce n’est pas encore la nuit.”
Voici l’histoire vraie d’un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l’écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d’œuvre est le livre d’un homme prêt à payer sa liberté au prix fort.

 

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Je termine à l’instant ce roman, qui n’est est pas un !
“À pied d’œuvre”, n’est pas une fiction, c’est l’histoire d’une vie, l’histoire d’un choix.

Franck Courtès, décide un jour de claquer la porte d’un monde qui lui a permis de vivre pendant vingt ans, mais surtout d’un monde où il ne se reconnaît plus. Il était photographe, croisant dans son quotidien artistes, sportifs et hommes d’affaires connus. Il a stoppé sa carrière par choix, et s’ouvrir vers une autre direction artistique, l’écriture.
Mais tout ne sera pas si simple…

J’ai suivi ainsi le parcours difficile d’un écrivain qui accepte tous type de “petits” boulots, manœuvre, livreur, jardinier ou encore serveur quand il n’est pas cuistot pour subsister. Le ton du récit est rythmé, drôle parfois, mais je n’ai pu m’empêcher d’entendre la lutte constante dans l’esprit de l’auteur, de toutes les difficultés qu’il doit balayer afin d’affronter le présent. Franck Courtès ne tombe jamais dans le pathos. Il est là, tout simplement, il survit en nous offrant sa voix et son regard sur un monde qui évolue, où le paraître est devenu plus important que l’être, où les sentiments passent en arrière plan, mais il ne juge pas, jamais. Il avance et chaque jour est un nouveau jour. Aujourd’hui 10 €, demain 35 € et peut-être un peu plus d’ici la fin de la semaine, il ne le vit pas comme une victime, mais comme un homme qui se bat.

Ce livre nous montre de quoi nous sommes capables, lorsque nous avons défini les priorités qui nous importent. Pour Franck, la décision sera définitive malgré les diverses discussions qu’il a pu avoir avec sa famille. Il ne reviendra plus en arrière, et tel un combattant se voue à sa nouvelle passion. Il veut écrire, surtout donner et partager…

Une lecture que j’ai trouvée très intéressante et “enrichissante” sur la misère due à la mondialisation, à la non-réglementation face au travail “de la rue”, son côté bon marché, l’exploitation de ceux qui la subissent, et la difficulté de ces travaux régulièrement très physiques.

Livre lu d’une traite !
Un sujet grave, intelligent, écrit avec finesse poésie et beaucoup d’humanité.
Un autre regard sur un monde injuste à la précarité sans limite, et pour moi aussi, hypocrite…

Hier soir, a eu lieu notre dîner mensuel du Cercle littéraire du Château de l’Hermitage, j’ai passé une excellente soirée, peut-être même l’une des meilleures à ce jour pour moi.
J’ai rencontré et pu discuter avec Franck.
J’ai tout de suite reconnu l’homme que j’avais deviné à travers ses lignes. Un homme simple et bon, un homme qui va simplement là où il doit aller…

“À pied d’œuvre”, la vie d’un homme que je vous recommande tout particulièrement !

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Extraits :

« Pour le dire en deux mots : j’ai cessé mon activité de photographe pour devenir écrivain. Rester écrivain a été une autre histoire.
Mon premier livre m’a valu un petit succès, puis, alors même que je me sentais progresser, j’ai vu autour de moi s’émousser l’enthousiasme. »

« J’aurais aimé avoir un père écrivain, justement, au lieu du mien, cet homme frustré, empêché huit heures par jour, attaché au bureau puis au canapé du salon, silencieux, résigné. Un père qui m’achetait nombre de jouets et de jeux auxquels nous ne jouions jamais ensemble, faute de temps. »

« Après une année sans revenus fixes, les objets autour de moi se sont naturellement détériorés sans que je sois en mesure de les remplacer. Les épisodes de désespoir sont rares mais douloureux. Je me sens chassé d’un confort dont je ne mesurais pas le bonheur. Une simple balade en forêt, pourtant gratuite, devient une expérience différente par le fait que mes chaussures usées prennent l’eau et que je ne peux en acheter des neuves. Le monde autour de moi semble avoir changé. J’erre dans un autre pays, une autre civilisation. »

« L’arrivée du numérique n’avait fait que précipiter mon désamour de l’utilisation de la photographie. Toute modernité n’est pas un progrès.
Je m’y étais pourtant mis, au numérique, parce que, nous disait-on, c’était ça ou disparaître. J’avais suivi une formation au logiciel Photoshop, offerte par mon agence, où je m’étais davantage senti gavé, comme les oies de maïs trans, de mots anglais, cette langue des vainqueurs et du grand marché mondial, qu’enrichi par de véritables connaissances. En argentique, les outils demandaient à être dominés et les échecs construisaient en moi des stratégies, des forces qui me rendaient chaque fois plus puissant. En découvrant peu à peu comment vaincre les résistances que le matériel argentique mettait sur ma route, plus que le photographe, c’était l’homme que j’améliorais. L’univers photographique numérique, facilité par l’intelligence artificielle, démocratisé par les fabricants, amenuisait la force, la gloire d’un bon résultat. Une fois de plus, Henri m’avait mis en garde. J’allais tout perdre. Je ne le croyais pas. Avec le numérique, je n’ai perdu qu’une chose, mais elle était de taille : le plaisir. »

 

Franck Courtès fut photographe pendant vingt ans. Vingt années de voyages autour du monde, de rencontres (des Daft Punk à Michel Legrand, de Franck Ribery à Patrick Modiano) dans lesquelles il puise pour raconter. Il a brutalement stoppé sa carrière pour ouvrir une autre recherche artistique et s’adonner à l’écriture.

Bibliographie
Autorisation de pratiquer la course à pied et autres échappées, J-C Lattès, 2013
Toute ressemblance avec le père, J-C Lattès, 2014
Sur une majeure partie de la France, J-C Lattès, 2016
La Dernière photo, J-C Lattès, 2018
Les Liens sacré du mariage, Gallimard, 2022
À pied d’œuvre, Gallimard, 2023

Émotion, Essai, Folie, Histoire vraie

Bienvenue chez les riches

de Lydia Lecher, avec la contribution de Doan Bui
Broché – 25 février 2016
Éditeur : Michel Lafon

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Lydia et son mari découvrent un jour une annonce pour un poste d’intendant et de gouvernante. Ils répondent à l’appel du haut de gamme et des cigales pour s’occuper d’une superbe bastide du sud de la France et servir ses riches propriétaires. Voilà comment Lydia est entrée dans le monde des ultra-riches. Elle connaîtra plusieurs maisons avec des patrons différents mais qui se rejoignent tous dans leurs exigences démesurées : horaires à rallonges, obligation du port de l’uniforme, de répondre à la sonnette, mépris, névroses, surveillance à outrance, injures… Mais que se passe-t-il derrière les murs des châteaux ?La vie d’une gouvernante ressemble aux douze travaux d’Hercule.
Lydia a connu les pièges dits  » du Petit Poucet  » : Madame sème un grain de riz sous un tapis, un noyau de cerise dans un tiroir, un coton-tige au fond du dressing pour accuser la gouvernante. Les dangers sont partout car lorsque Madame n’est pas là, ce sont les autres membres du personnel qui font du zèle en espérant s’attirer les faveurs des maîtres.
Lydia nous dévoile son expérience, elle nous fait partager moult anecdotes, étonnantes, exaspérantes, voire inimaginables. Elle s’exprime aujourd’hui pour dénoncer des pratiques archaïques qui tendent vers un esclavage moderne qu’on ne soupçonne pas.

Un témoignage exclusif dans l’antre des ultra-riches et leurs excès.

 

• Couv_2024-091_Lecher Lydia - Bienvenue chez les riches

 

Bienvenue chez les riches
Dès que j’ai vu ce titre, j’ai tout de suite Ressenti le ton résolument ironique, mais j’étais loin, très loin d’imaginer à quel point j’avais eu raison, à quel point cela allait beaucoup plus loin…

Lorsque j’étais tout petit, ma maman a été pendant plusieurs années femme de ménage “au noir”, avant de trouver plus tard un travail qui convienne plus à ses capacités professionnelles. Elle travaillait tous les jours de nombreuses heures et n’avait pas les moyens de me faire garder. Je conserve, certains souvenirs de cette “primo” enfance…
Surtout ne pas faire de bruit, ne toucher à rien, rester dans mon coin, ne pas bouger.
Lydia Lecher l’explique très bien, il me fallait devenir “invisible”.
Je n’ai pas de souvenirs que ma mère en ait vraiment souffert, mais cela ne me surprendrait pas du tout.

L’autrice nous raconte son parcours familial (elle est avec son mari et son fils), dans un quotidien où il faut savoir, s’incliner, accepter pour conserver son poste.
Le monde des “très riches” est effectivement un monde très fermé, un monde à part, où le paraître à toute son importance. Ne jamais se montrer faible, avoir une autorité constante et absolue, ne pas montrer que l’on vieillit comme le commun des mortels. En logeant chez ses patrons Lydia en perd presque le sens des réalités, heureusement, elle a du caractère !

Un livre intéressant à découvrir, qui aborde le côté très peu connu de ceux qui nous côtoient de leurs résidences de luxe ou de leurs châteaux.
Oui, on le sait maintenant, l’argent qui permet d’accéder au pouvoir peut aussi faire tourner la tête de certaines personnes peu équilibrées, qui perdront très vite le sens des valeurs et des priorités. C’est un phénomène en voie de développement chez tous les nouveaux riches. Ils se transforment très vite… J’en ai vu. J’en connais. Malheureusement très peu ont conservé leur tête sur les épaules !
L’argent rend-il fou ?
Finalement, sont-ils vraiment à envier ?

Lydia, trouve le ton, et les mots justes tout le long de ses “différentes vies”.
Elle n’agresse jamais, n’insulte pas. Elle constate… Elle nous transmet.

« D’un côté, nous, les petits. De l’autre, les heureux du monde. En général, la frontière entre ces deux univers est parfaitement étanche.
Sauf que les nantis ne peuvent pas se débrouiller seuls : ils ont besoin de se faire servir. »

C’est tout à fait ça !
Merci Lydia…

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Extraits :

« La pause ? Nous ne savions pas vraiment ce que c’était, tant nos employeurs avaient l’habitude de nous “sonner” pour un oui pour un non.
Oui, nous avons même connu des maîtres qui en avaient une vraie, de sonnette, de celles qui font dring dans les halls d’hôtels d’époque, un dring qui veut dire “Au pied !”. »

« Les riches… On les voit parfois dans les films, sur les couvertures de magazines, dans des émissions de télé. Mais en le découvrant de l’intérieur, j’ai réalisé à quel point cet univers était finalement très peu connu. Deux sociologues, Monique et Michel Pinson Charlot, ont baptisé ce monde “le ghetto du gotha”.
L’expression est juste. Les ultras privilégiés vivent en vase clos, dans un ghetto, totalement coupés de notre monde à nous, le monde réel, le monde normal où l’on compte ses sous, où l’on calcule pour la fin du mois, où l’on gagne sa vie. »

« D’un côté, nous, les petits. De l’autre, les heureux du monde. En général, la frontière entre ces deux univers est parfaitement étanche.
Sauf que les nantis ne peuvent pas se débrouiller seuls : ils ont besoin de se faire servir. »

« Mon Dieu…
La lumière mordorée de la Provence inondait le domaine, encerclé par un très beau mur en rocaille. Un joli portail en fer forgé fermait la résidence. Nous avons sonné à l’interphone.
Une voix nous a accueillis puis le portail s’est ouvert. Nous sommes remontés en voiture. Et nous avons roulé au pas, regardant, estomaqués, ce qui nous entourait. Tout était si gigantesque ! Devant nous s’étendait une allée qui semblait interminable, l’allée centrale bordée de platanes centenaires majestueux. À droite, d’immenses prés verdoyants, chatoyants sous le soleil. »

« Monsieur Neige, nous l’adorions.

Hélas, M. Neige avait un gros, gros défaut…
son épouse.
Si Monsieur était le patron idéal, généreux, respectueux de votre travail, érudit, Madame, elle… Madame était “Madame” jusqu’à la caricature.
Ah ! Madame…
Avec Madame, j’ai vite compris à qui j’avais affaire. »

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Lydia Lecher a passé 15 ans de sa vie au service des riches, en tant que gouvernante ou gardienne.
Elle a raccroché ses gants blancs sans regret ni rancœur. Domestique au service des ultrariches, elle a connu la vie de château et nous dévoile l’envers d’un décor pas toujours reluisant…
Elle raconte son quotidien dans son livre Bienvenue chez les riches.

Essai, Histoire vraie, Humour

Les Grandes Oubliées

Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes
de Titiou Lecoq
Broché – 28 septembre 2023
Éditeur : Évidence Éditions

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De tout temps, les femmes ont agi. Elles ont régné, écrit, milité, créé, combattu, crié parfois. Et pourtant elles sont pour la plupart absentes des manuels d’histoire.
“C’est maintenant, à l’âge adulte, que je réalise la tromperie dont j’ai été victime sur les bancs de l’école. La relégation de mes ancêtres femmes me met en colère. Elles méritent mieux. Notre histoire commune est beaucoup plus vaste que celle que l’on nous a apprise.”
Pourquoi ce grand oubli ? De l’âge des cavernes jusqu’à nos jours, Titiou Lecoq s’appuie sur les découvertes les plus récentes pour analyser les mécanismes de cette vision biaisée de l’Histoire.
Elle redonne vie à des visages effacés, raconte ces invisibles, si nombreuses, qui ont modifié le monde. Pédagogue, mordante, irrésistible, avec elle tout s’éclaire. Les femmes ne se sont jamais tues. Ce livre leur redonne leurs voix.

“Femme libre et engagée, esprit avide et curieux, écrivaine confirmée,
Titiou Lecoq livre un grand récit, passionnant et vrai.”
Michelle Perrot

 

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Non !
Je suis désolé, les hommes et les femmes ne seront jamais égaux !

Avez-vous déjà vu un homme en rentrant de son travail, faire à manger, donner le bain aux enfants, tout ranger avant de se coucher, faire les courses le week-end, le ménage, nettoyer “les chiottes” ?
J’avoue, moi-même ne pas en faire partie. Je pourrais chercher des excuses. Il n’y a qu’une seule réponse. Coupable !
On est vraiment de sacrés “Co… …rds”…

Voici un livre à mettre entre toutes les mains, entre celles des hommes en l’occurrence.
Un livre qui brise toutes les idées reçues et m’a amené à revoir complètement et à découvrir aussi le rôle de nombreuses femmes dans l’Histoire.

– Saviez-vous qu’au Moyen Âge, il y avait eu des reines en France ?
– Saviez-vous qu’en 1793, il y avait des femmes dans l’armée française ? Certaines mêmes étaient gradées au même titre que les hommes.
– Saviez-vous que le 6 octobre 1789, c’est un mouvement féminin qui se rend à Versailles chercher la famille royale pour la ramener à Paris ?
Qu’elles sont à la base de la Révolution française ? Étant en charge des courses et des repas, elles suivaient le cours du prix du Pain jour après jour et ont été présentes dans les émeutes “de subsistance” bien avant la Révolution ? Qu’elles seront nombreuses à être arrêtées et exécutées ?
– Saviez-vous qu’au sortir de cette révolution, c’est un militaire qui prend le pouvoir, Napoléon Bonaparte ? Et comme il le disait lui-même : “la nature a fait de nos femmes, nos esclaves.”
– Que les biens communs du ménage et les biens de l’épouse appartenaient exclusivement à l’époux, qui donnerait ou pas son autorisation pour qu’elle travaille et qu’il touchera la totalité de son salaire jusqu’en 1907.
– Qu’elle lui devait une soumission totale, et ce, jusqu’en 1965.
– Qu’elle a fait partie de la Résistance, beaucoup plus que je ne l’avais imaginé ?
– Qu’il aura fallu attendre 1861 pour qu’une femme, Julie-Victoire Daubié, obtienne pour la première fois le baccalauréat à 37 ans, après de nombreux refus dans plusieurs académies, elle parvient enfin à se faire accepter à Lyon ?
– Qu’en 1871, elle obtient une licence de lettres alors qu’elle n’a jamais été autorisée à assister aux cours !
Et tellement plus encore…

Pourquoi tous ces mensonges ?
Pourquoi les femmes sont elles absentes de nos manuels d’histoire ?

Ce livre très accessible, est écrit sur le ton de l’humour, cela donne une sorte de soupape, mais n’excuse en rien tout ce qui est arrivé durant des milliers d’années, et qui malheureusement n’est toujours pas terminé !
Titiou Lecoq nous fait découvrir ces femmes, effacées de l’Histoire, elle recadre les choses, s’appuyant sur des recherches sérieuses et étayées, d’ailleurs de nombreux faits mentionnés sont sourcés, on peut donc en savoir plus à volonté.
L’autrice nous propose une relecture de notre histoire, de la préhistoire jusqu’à nos jours, et nous démontre que si les droits des femmes n’ont pas toujours progressé au fil des siècles, bien au contraire, ils ont été diminués régulièrement “comme par magie” !
Ce n’est aucunement un récit sexiste, Titiou pointe du doigt le fait que les femmes au même titre que les hommes font partie de l’Histoire, et qu’elles méritent aussi simplement de figurer dans nos “registres”.

Difficile de ne pas aimer ce livre.
Difficile de ne pas vouloir le mettre en avant.

C’est la première fois que j’ai un coup de cœur pour un livre qui n’est pas un roman.
Et là, je m’adresse aux hommes qui ont au moins lu jusqu’à ces mots… Lisez ce livre en hommage à toutes celles, mères, femmes et filles qui ont lutté, qui luttent encore pour nous.

Merci Valérie de m’avoir proposé la lecture de cet essai (réussi pour moi !).

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Extraits :

« Ce qu’avaient imaginé les premiers préhistoriens n’était que la copie de l’organisation sociale qu’ils connaissaient à Paris, Berlin ou Londres. Aujourd’hui, nombre de spécialistes travaillent à déconstruire ces présupposés, pour poser sur les traces archéologiques un regard neuf. Mais tout cela, on ne le savait pas quand j’étais élève. Moi, je partais d’un postulat assez simple dans la vie : si on m’apprenait quelque chose, c’est que cette chose était vraie.
C’est ainsi que j’ai assimilé un certain nombre de savoirs qui se sont révélés faux. »

« J’ai été stupéfaite de me rendre compte que je n’avais jamais envisagé que ces œuvres puissent être celles de femmes. Ça n’avait pas traversé mon esprit un quart de seconde. On parle souvent de ‘déconstruire”, et on emploie le mot à tort et à travers. Mais déconstruire, c’est exactement cela. C’est croire depuis toujours que, bien évidemment, ce sont des hommes, des sortes de Michel-Ange en peaux de bêtes, qui ont peint Lascaux – avant de se rendre compte que cette vision n’est étayée par aucune preuve concrète. À l’heure actuelle, je le répète, absolument rien ne nous permet de savoir si ces sculptures, gravures et peintures sont l’œuvre d’hommes ou de femmes. »

« Comment la moitié de l’humanité a-t-elle pu soumettre l’autre, alors même que le différentiel de force physique n’était pas si important ? Pourquoi les femmes ont-elles adhéré à un ordre social qui les défavorisait à ce point ?
Cette question de l’origine de la domination masculine ne sera probablement jamais totalement élucidée, mais on peut émettre des hypothèses. »

« La sédentarisation et la propriété privée contribuent à renforcer un régime de domination.
Quand on dit “cette terre est à moi”, “ce qui en sort m’appartient”, on crée une société inégalitaire, et on renforce la position dominante de quelques-uns. Cette logique a entraîné une dégradation des conditions de vie des femmes par rapport aux modes de vie plus nomades et collectifs du Paléolithique. »

« Ses textes sont remarquables parce qu’ils sont, jusqu’à présent, la plus ancienne trace d’un “je”. Ce qu’il reste des paroles d’une femme qui disait “je” il y a quarante-trois siècles.
Évidemment, Enheduanna est devenue un symbole dans les cercles féministes. Le premier auteur connu de l’humanité est une femme, et on n’en parle jamais. »

 

Titiou Lecoq est journaliste indépendante et blogueuse sur Girls and geeks. Elle a notamment publié Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (Fayard 2014), ainsi que des romans dont Les Morues (Au Diable Vauvert, 2011). Elle a publié Honoré et moi à l’Iconoclaste en 2019, un récit drôle et accessible sur un monument de la littérature.