Folie, Humour, Nouvelles

Ah ! Mauricette…

de José Herbert
Broché – 5 mai 2023
Éditeur : Amanite

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Justin, instituteur à la retraite, consacre désormais son temps à l’écriture d’histoires invraisemblables et délirantes, inspirées par l’observation de ses contemporains. Il s’amuse chaque jour à les raconter à sa voisine Mauricette à travers la haie de clématites séparant leurs propriétés. Mauricette l’écoute avec beaucoup d’intérêt. Est-ce l’œuvre ou l’auteur qui la passionne réellement ? N’a-t-elle pas établi volontairement les règles d’un jeu de séduction pour arriver à ses fins ? Rondouillette, dotée d’un regard pervenche, d’une chevelure rouge garnie de bigoudis, la quinquagénaire semble naïve pour Justin le fanfaron qui donne aveuglément libre cours à son plaisir.

Ce recueil de nouvelles est construit comme un roman. Chacun des chapitres donne envie de lire le suivant. José Herbert manie l’humour parfois grivois, le cynisme, voire la folie, avec habileté, surtout quand il s’agit d’exposer certains travers de notre société. Les personnages de ses histoires sont foldingues : le flatteur de dindons, l’inventeur de l’eau en poudre, le vieux qui monte un escalier, le vendeur de chaussures à l’unité, le « muscleur » d’huîtres…

Toujours désopilant, parfois dérangeant, Ah ! Mauricette… invite le lecteur à s’interroger sur l’absurdité de certains comportements humains. À savourer avec gourmandise.

 

• Couv_2023-053_herbert José - Ah ! Mauricette..

 

C’est d’abord un peu dubitatif que j’ai commencé ma lecture…

J’avais déjà vu la couverture sur les réseaux et j’avoue l’avoir trouvée fort sympathique !
Comme je ne lis plus les 4e de couverture, je me suis lancé et…

Et…, j’ai eu un peu de mal à entrer dans le récit.
Deux voisins, Mauricette et Justin, font connaissance à travers le grillage qui les sépare. Ils se retrouvent régulièrement et petit à petit va naître une amitié entre eux… et petit à petit je ressens moi-même un petit quelque chose envers Mauricette et sa naïveté un peu déconcertante du début, mais vu que l’auteur, ou Mauricette, je ne sais plus est arrivée à me faire sourire et finalement rire, mon esprit un peu fermé, s’est libéré et ouvert doucement…

Ah ! Mauricette…
Je n’étais pas préparé à ta rencontre et il aura fallu la ténacité de Justin pour percevoir ton aura.
Car Mauricette est drôle et tendre à la fois avec ses cheveux rouges pris dans ses bigoudis.
Mais le plus drôle encore, c’est que j’ai appris plein de choses… Oui !!!

– “Branleur” de dindons, une profession que je ne connaissais pas !
Si, ça existe !!! J’ai vérifié sur Google !!!

– Avez-vous déjà essayé de nettoyer un trou ? Justin lui, le fait tous les matins !

– Saviez-vous que les huîtres n’avaient qu’un muscle ?

– Miss France, est-elle vraiment plus jolie que Mauricette, et sent-elle mauvais lorsqu’elle va aux toilettes ?

– Ça vous dit un conte surtout pas pour les enfants ?

– Qu’en est-il de la chatte de Mauricette ? De l’obélisque de Justin ?

Je termine mon livre un peu perdu, mais le sourire aux lèvres, car la lecture, c’est ça aussi. Aller là où je ne serais peut-être jamais allé sans avoir un peu insisté. Alors merci José, d’avoir osé ce livre qui devrait ravir tous ses lecteurs. Et putain que c’est bien écrit.

Inclassable, cocasse, un peu folle, mais parfois sérieuse aussi, finalement j’ai fini par la trouver jolie Mauricette avec ses bigoudis et elle “s’emboîte” si bien avec Justin. Elle m’a emmené dans son univers original où les gens et les choses ne sont pas forcément ce qu’elles paraissent être !

Un sacré moment de lecture, maintenant, il va falloir que je redescende sur terre…
Merci José, d’avoir agrandi mon horizon !

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Extraits :

« Pendant toute la durée de l’acte de chair, puisqu’elle réclamait de lui qu’il enceintât d’un animal, Papa montra son talent. Il aboya, il miaula, il bêla, il grogna, il rugit, il beugla, il brama, il gazouilla, il cacaba et gloussa, il coassa et croassa. Il garda le meilleur pour la fin. Au moment où ils jouirent, il poussa un énorme cocorico, le col dressé à la façon de Chantecler, le coq du roman de Renart. »

« – Justino, toi, mendiant, tu prétends t’être adonné au commerce d’allumette vers ta vingtième année. Quel âge avais-tu quand tu as rencontré le compteur danois ?
– Je n’avais pas d’âge, sauf celui de la fabulation, des mythes et des rêves. Je sens que tu ne me crois pas. Joselito, peux-tu répondre à la question suivante : Quel âge avait Rimbaud ? Impossible, n’est-ce pas ! Simplement, parce que Rimbaud n’a pas d’âge, comme Anderson, comme moi-même. »

« – Tu es une petite nature, lui dis-je, un petit cœur sensible.
– Ton histoire n’est pas terminée, Justin.
– C’est vrai ! Veux-tu veux vraiment en connaître la fin ? Ne te mets pas à pleurer, s’il te plaît !
– Oui ! Pas de soucis !
Je cherchai un endroit suffisamment large dans la clôture pour y placer ma bouche et lui bisouter les joues et, pourquoi pas, le cou. Elle passa ses bras dans d’autres trous bien choisis et m’enlaça. Comment allions-nous sortir de cette complexité métallique qui nous enchevêtrait ? Mais peu importait le ridicule de la situation, je lui livrai à la fin de mon histoire et elle gémit. Elle avait promis de se tenir. »

« Quand Philibert remplissait un formulaire pour la Sécu, par exemple, à la ligne “Profession”, il écrivait, en s’appliquant et en passant la langue, “flatteur de dindons”. Doux euphémisme pour décrire en réalité une occupation qui aurait été plus explicite, s’il avait écrit “branleur de dindons”, mais Philibert était un brin poète et, pour lui, flatter était plus poétique branler. »

« – Tu veux me montrer tes seins, Mauricette ?
Elle aimait me dévoiler des parties cachées de son anatomie, sauf la plus secrète, pour l’instant. Elle me draguait, je le constatais une fois de plus. Mais je regrettai aussitôt cette remarque, car ce que je voyais n’était guère réjouissant. Entre ses seins et son nombril logeait, un bel hématome large et coloré en un camaïeu de vert et de bleu, telle une aurore boréale au pays des Lapons. »

 

José Herbert est né à Aniche en 1944, dans le département du Nord. Il fréquenta l’Ecole Normale de Douai pour devenir ensuite instituteur à Vred, puis Auberchicourt, enfin, à partir de 1975, directeur d’école et secrétaire de mairie à Wambaix, petit village du Cambrésis. Il est maintenant installé à Loos en Gohelle. C’est un amoureux des lettres, passionné d’histoire locale, il aime l’humour loufoque, les situations hors norme, les personnages burlesques.

Il publie aux Editions Atria un premier roman, L’instituteur impertinent, qui raconte avec humour, pittoresque et tendresse, une vie professionnelle exceptionnelle.
Son deuxième roman, signé La grande faucheuse, est une pure loufoquerie. Imaginons un couple singulier. Lui, c’est Viktor, enseignant à la retraite. Elle, c’est Samantha, la grande faucheuse, la Mort allégorique, trimballant sa faux au hasard des vies à faucher. Samantha se déplace en mobylette, possède un téléphone portable, se nourrit de salades. Nos deux héros se rencontrent fortuitement, s’aiment et décident de nouer une relation forte et durable qui va les entraîner dans l’espace et dans le temps.
Dans ce dixième roman (second roman policier), il vous fera découvrir la région de Cambrai comme vous ne l’avez jamais vue.

Drame

Le Mal-épris

de Bénédicte Soymier
Broché – 6 janvier 2021
Éditions : Calmann Levy

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« Ça lui ronge les tripes et le cerveau, plus fort que sa volonté – une hargne qui l’habite, une violence qui déferle tel un vent d’orage, puissante et incontrôlable. Il voudrait lâcher mais ne pense qu’à frapper. »

Paul est amer. Son travail est ennuyeux, il vit seul et envie la beauté des autres. Nourrie de ses blessures, sa rancune gonfle, se mue en rage. Contre le sort, contre l’amour, contre les femmes.
Par dépit, il jette son dévolu sur l’une de ses collègues. Angélique est vulnérable. Elle élève seule son petit garçon, tire le diable par la queue et traîne le souvenir d’une adolescence douloureuse.
Paul s’engouffre bientôt dans ses failles. Jusqu’au jour où tout bascule. Il explose.
Une radiographie percutante de la violence, à travers l’histoire d’un homme pris dans sa spirale et d’une femme qui tente d’y échapper.

 

 

Je m’appelle Paul.
Je sais, je ne suis pas beau… Certains diront même laid !
Et Dieu sait si j’en souffre tous les jours. J’aurais tellement aimé être un autre, un de ceux que les femmes regardent. Grand, fort, beau.
De beau, je n’ai que mes yeux. Seuls les hommes beaux ont de la chance en amour. Moi, je n’ai que mes yeux. Mes yeux et ma colère qui gronde, qui m’étouffe, et me transforme parfois.

J’aime mes sœurs, Émilie et Rachel, surtout Émilie. Enfant déjà, j’étais là pour les protéger…
Se sont-elles vraiment rendu compte de ce que j’ai vécu pour elles, ce que j’ai souffert pour elles ?
C’est moi qui systématiquement me prenais les coups à leur place, c’est moi qui me positionnais entre elles et mon père.
Mon père, parlons-en de cet homme, de ce lâche, cette brute !
Du plaisir qu’il prenait à me rouer de coups…

Depuis quelques jours, j’ai une nouvelle voisine, sur le même palier. Je sais qu’elle s’appelle Mylène. Tous les jours à travers mon judas, je l’observe, je la surveille, ses entrées, ses sorties. Je suis même arrivé à la prendre en photo, je note avec mon stylo Montblanc à l’encre noire, ses allers-retours sur un carnet, choisi dans une grande papeterie, que j’ai spécialement acheté pour elle. Elle est tellement belle, fine, élégante. Comment remarquerait-elle un pauvre type comme moi ? Elle hante mon esprit, je ne dors plus… Je la voie partout, je la veux !
Mais les femmes sont tellement cruelles…

Bienvenue dans ce roman étrange et dérangeant, bienvenue dans la tête de Paul.
J’avoue avoir été dépassé, et ne pas savoir où me placer par rapport au récit.
Bénédicte Soymier arrive, non pas à pardonner la violence de certains hommes (heureusement !), mais elle nous montre, d’une façon très précise et ciselée, un des processus qui pourrait mener à la violence conjugale. Elle explique les prémices avant la perte de contrôle, l’explosion… Le coup qui part et qui fera souffrir la victime, mais ma surprise vient du fait que la souffrance est aussi vécue, très différemment, par celui qui se rend coupable des actes de violence.

Les personnages du récit ?
Ce sont nos voisins, nos amis, les collègues de travail, les membres de la famille aussi, tous… Tout ceux qui ne sont que simplement humains.
Le Mal-épris, est un premier roman, d’une grande qualité et déjà, il bouscule certains codes de la littérature.
Malgré un ton résolument violent, psychologiquement, il reste délicat et sensible.
Le roman fait de nous les témoins passifs d’un couple “perdu”, alors qu’il vient à peine de se trouver…
C’est une histoire puissante, très rythmée, Bénédicte m’a impressionné, touché aussi, plus que ce à quoi je m’attendais en début du récit. Elle a su trouver un ton juste en fonction des regards qui diffèrent en fonction des personnes.
Qu’ont-elles ont en commun ? L’amour… Mais est-ce suffisant ?

“Le Mal-épris” est un roman impressionnant, tragique et hypnotique d’une vie banale, d’une vie de tous les jours.
Il m’a dérangé, fasciné et finalement séduit. Il m’a obligé à me poser de nombreuses questions et m’a ouvert l’esprit !
Je le recommande vivement !

Auteure à suivre…

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Extraits :

« J’ai écrit ta vie, Paul, comme je la connais, ton quotidien sur ces jours qui s’échappent, ce que tu affrontes, les regards et le reste, jusqu’à la bascule. J’ai raconté ce que j’ai vu et entendu, de toi ou d’un autre, un Paul, un mec, un homme, peu importe le nom, je t’ai écouté, côtoyant ta peine et la douleur des tiens, des silences, des paroles, parfois un flot qu’on ne peut interrompre. Ce sont des histoires qu’on me donne ; elles se ressemblent ou non, se répondent, se poursuivent, je les reçois et c’est la vie, Paul, tu sais, sans concession, du vrai, du trash, des pensées méprisables et l’inacceptable. »

« Sa voix le heurte. Il déraille.
Pas lui. Ce n’est pas lui.
Les souvenirs se fracassent sur ses mains, la concentration de ses muscles, le mal, ce mal qui le traverse. Comment peut-il ? Pas lui. Ses doigts s’ouvrent dans l’instant, brûlés, brûlants, vite se dérober, ses bras retombent. Il s’affaisse, vrillé en lui-même, il glisse au sol contre le mur. Forme molle, sombre et pliée. Sa tête s’incline, ses yeux se ferment. Il est en colère, il est chagrin. Il est épuisé. »

« C’est donc ça, la vie, une grande farce hypocrite dans laquelle il faut se fondre pour ne pas être méprisé. Il écoute, regarde, s’adapte. Il apprend, la nausée au bord des lèvres face à ce fourbe étalage, à cette course à l’apparence, à cet attrait de l’enveloppe alors qu’au fond il sait être le même. Il vomit ces faux amis, leurs tapes sur l’épaule, leurs grimaces artificielles, eux qui ne lui accordaient qu’un vague regard. Il les toise et s’affirme, conscient d’une duplicité qui lui coûte mais dont il ne peut revenir. »

« Angélique est belle les cheveux emmêlés, pâle et froissée assise sur son canapé. Elle serre les genoux et lisse son chemisier. Paul ramasse sa détresse, un regard en pleine face ; la tristesse qu’il remarque, elle est pour lui. Lui, l’arrogant et le vulgaire. La bête. Il sent la bile à son palais. Tout ça, c’est de la faute de Mylène. Non. Même pas. C’est de la sienne. Il se dégoûte. »

 

 

Infirmière, Bénédicte Soymier travaille dans le Doubs. Passionnée de littérature, elle partage ses nombreuses lectures sur son blog Au fil des livres. Le Mal-épris est son premier roman.