Émotion, Histoire, Philosophique

La supplication

Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse
de Svetlana Alexievitch (Auteur)
Poche – 5 octobre 2016
Éditeur : J’ai lu

« Des bribes de conversations me reviennent en mémoire… Quelqu’un m’exhorte :
― Vous ne devez pas oublier que ce n’est plus votre mari, l’homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n’êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! « 
Tchernobyl. Ce mot évoque dorénavant une catastrophe écologique majeure. Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l’explosion de la centrale ?
Svetlana Alexievitch nous laisse entrevoir un monde bouleversant : celui des survivants, à qui elle cède la parole. L’événement prend alors une tout autre dimension.
Pour la première fois, écoutons les voix suppliciées de Tchernobyl.

 

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Bonjour à toutes et à tous.

J’ai eu beaucoup de mal à trouver des mots simples, des mots justes pour parler de ce livre. Il m’a énormément touché…
Du léger frisson sur les bras, à l’horreur au point de fermer les yeux.
Combien de larmes ai-je retenues jusqu’au point final ?
Combien de fois me suis-je levé pour marcher et respirer un coup ?

Ce n’est pas un roman.
C’est une compilation d’interviews toutes plus instructives et intéressantes les unes que les autres. C’est un concentré de douleur et d’amour, d’humanité et de monstruosité, de résignation et de colère…
Tristesse et colère, oui, c’est ça. C’est ce que je retiendrai finalement de cette lecture.

Je ne connaissais pas non plus le terme de « roman de voix » pour qualifier le travail d’un ouvrage par des témoignages.

Svetlana Alexievitch a utilisé des voix intimes et sans autre vêtement que celui d’une vérité émotionnelle propre. L’ouvrage tisse au fur et à mesure des paroles retranscrites sans fioritures. Grâce à ces multiples échanges, j’ai vu une URSS qui se divisait entre les adorateurs de Staline et les nouvelles générations, qui ne tendent plus vers les mêmes idéaux ; mais j’entendais aussi ces enfants devenus grands et auxquels les guerres ont laissé le goût de souvenirs amers ; le ressente des combats de ces populations pour l’amour de leur patrie. Ce livre se dresse d’empathie sous des non-dits qui sont devenus traumatismes, comme le fut le triste événement de Tchernobyl…
Le seul but de notre romancière de voix parait d’être honnête et de se battre, même si son arme est la plume et celle des interrogés, leurs souvenirs.
Et bien qu’elle ne se décrive pas comme une héroïne, elle n’en reste pas moins, une porteuse de lumière.
Rien n’est foncièrement mauvais ou bon et c’est pour cela qu’il est bien loin d’être simple d’expliquer les faits…
D’où l’importance des témoignages…
Et tous les témoignages recueillis convergent vers cette idée d’impuissance mais aussi d’inexpérience, de vérité cachée…
Lorsque le 26 avril 1986, un accident se produit à la centrale de Tchernobyl, on envoie les pompiers, comme s’il s’agissait d’un simple incendie. Les pauvres hommes vont ainsi se confronter à la mort.

Que ce soit les habitants de la zone, les militaires, les hommes réquisitionnés pour le “nettoyage”… Nous avons ici une relation du vécu, psychologique et concrète, des victimes. Effarement, incompréhension, inconscience quant à la gravité et aux conséquences… Et par leurs paroles reflet de l’âme Biélorusse : fatalisme, attachement viscéral au système de valeurs de l’époque (1986, juste avant la chute du communisme), avec parfois un côté très naïf, presqu’enfantin.

Si vous voulez sentir les choses de l’intérieur, à lire absolument !

Merci Alexandra Koszelyk, sans toi je serai passé à coté de ce monument littéraire !

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Extrait :

« Je me suis soudain mis avoir des doutes. Que valait-il mieux : se souvenir ou oublier ? J’ai posé cette question à des amis. Les uns ont oublié, les autres ne veulent pas se souvenir parce qu’on n’y peut rien changer. Nous ne pouvons même pas partir d’ici…
De quoi puis-je me souvenir ? Dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe, les livres sur les radiations, sur Hiroshima et Nagasaki et même sur la découverte de Röntgen on disparu des bibliothèques. On disait que c’était sur ordre des autorités, pour éviter la panique. Il y avait même une blague : si Tchernobyl avait explosé chez les Papous, le monde entier en auraient eu peur… sauf les Papous. Il n’y avait aucune recommandation médicale, aucune information. Ceux qui le pouvait achetaient des comprimés d’iodure de potassium (il n’y en avait pas dans les pharmacies de notre ville : il fallait avoir beaucoup de piston pour s’en procurer). Certains prenaient une poignée de ces comprimés en les avalant avec un verre d’alcool pur. Les secours d’urgence sauvaient ces gens de justesse.
Et puis on a trouvé un signe auquel tout le monde prêtait attention : tant qu’il y avait des moineaux et des pigeons, la ville pouvait être habitée aussi par l’homme. Un jour, j’ai pris un taxi et le conducteur s’étonnait de la manière dont les oiseaux se cognaient contre le pare-brise, comme des aveugles. Comme des fous… Comme s’ils se suicidaient… »

 

 

Prix Nobel de littérature 2015
Svetlana Alexievitch est née en 1948 en Ukraine. Elle a fait des études de journalisme en Biélorussie, où ses parents étaient instituteurs. Sa première publication, La guerre n’a pas un visage de femme, en 1985, sur la Seconde Guerre mondiale, dénoncée comme « antipatriotique, naturaliste, dégradante » mais soutenue par Gorbatchev est un best-seller. Chaque nouveau livre est un événement et un scandale : Les Cercueils de zinc, en 1989, sur la guerre d’Afghanistan, qui la fait connaître en France et sera adapté pour le théâtre par Didier-Georges Gabily ; Ensorcelés par la mort, en 1993, sur les suicides qui ont suivi la chute de l’urss ; et La Supplication, en 1997, sur Tchernobyl. Elle vit de nouveau à Minsk, après un long séjour à Berlin.
Son ouvrage La Fin de l’homme rouge. Le temps du désenchantement (Actes Sud, 2013), sur la fin de l’urss et ce qui a suivi, a été classé meilleur livre de l’année 2013 par le magazine Lire et a reçu le prix Médicis Essai.

Émotion, Historique

À crier dans les ruines

de Alexandra Koszelyk (Auteur)
Broché – 23 août 2019
Éditeur : Aux Forges de Vulcain

Lena et Ivan sont deux adolescents qui s’aiment. Ils vivent dans un pays merveilleux, entre une modernité triomphante et une nature bienveillante. C’est alors qu’un incendie, dans l’usine de leur ville, bouleverse leurs vies. Car l’usine en question, c’est la centrale de Tchernobyl. Et nous sommes en 1986. Les deux amoureux sont séparés. Lena part avec sa famille en France, convaincue qu’Ivan est mort. Ivan, de son côté, ne peut s’éloigner de la zone, de sa terre qui, même sacrifiée, reste le pays de ses ancêtres. Il attend le retour de sa bien-aimée. Lena, quant à elle, grandit dans un pays qui n’est pas le sien. Elle s’efforce d’oublier. Mais, un jour, tout ce qui est enfoui remonte, revient, et elle part retrouver le pays qu’elle a quitté vingt ans plus tôt.

2020_008_Koszelyk Alexandra - A crier dans les ruines

Bonjour à toutes et à tous…

Wahou !!!

Quel roman… Je l’ai lu d’une seule traite. Impossible de le laisser sans connaître la fin.
Mais est-ce bien une fin ?

Léna et Ivan, deux adolescents sont séparés, suite à la terrible catastrophe nucléaire survenue le 26 avril 1986 à Tchernobyl.
Voilà le point de départ du roman.
Léna est partie vivre en France avec ses parents et sa grand-mère, alors qu’Ivan a dû rester dans cette zone d’exclusion, où la nature reprend petit à petit ses droits en s’adaptant, mais les radiations sont encore là, pour des milliers d’années.

Alexandra Koszelik raconte, ou plutôt nous conte tout cela comme une histoire un peu “magique” avec beaucoup de sensibilité et d’émotion.
Je suis passé par plusieurs sentiments tout au long du récit. Il y a de la poésie cachée entre ses lignes, mais il y a aussi des événements chocs et marquants !

C’est à la fois un récit émouvant et réaliste, décrivant avec justesse une catastrophe humaine sans précédent, mais c’est aussi une histoire d’exil. Léna est déracinée. Elle ne peut en parler à ses parents, qui eux, désirent tout oublier. Seule sa grand-mère Zenka pourra l’aider. Mais le temps va faire son travail et petit à petit ses souvenirs d’Ivan et de son “ancienne” vie s’estompent…
Mais c’est surtout, une très belle histoire d’amour qui se déroule sur 20 ans.
En effet, Lena et Ivan étaient deux moitiés inséparables qui soudain se retrouvent cruellement éloignés.
Alors, Ivan, tous les ans, à date anniversaire, va écrire une lettre, tantôt bouleversante, tantôt terrible à “sa” Léna. Lettre qu’il ne pourra envoyer puisqu’il ne connait pas son adresse. Ce sera façon d’essayer de contrôler sa vie, son quotidien.

Tandis que Lena, elle, va…

Je vous laisse la possibilité de le découvrir par vous-même, en lisant ce roman plein de beauté, de mélancolie et de poésie.

Alexandra, avec beaucoup de finesse et de psychologie, va vous faire avancer le fil du temps de cette ode à la vie, à la liberté et à l’amour, jusqu’au dénouement final.
Dénouement certes un peu attendu, mais il ne pouvait en être autrement…

À crier dans les ruines”, roman qui explore un passé récent, est un très beau premier roman qui m’a touché et ne vous laissera sûrement pas indifférent…

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Extraits :

« Souvent, la dernière attention, un dernier geste ou regard, n’est pas prise au sérieux. On ne sait jamais quand elle arrive, personne n’y prend garde, l’instant glisse sur nous et s’échappe. Mais quand le dernier instant se fige, quand on sait qu’il portera le nom de « dernier », alors l’instant revient et perfore l’inconscient. Si j’avais su… »

« Léna entra dans son ancienne école avec effroi. Dans cette classe, le sol était jonché de cahiers ouverts et éventrés. Quelques jouets attendaient toujours que des paumes chaudes d’enfants les reprennent. Un peu plus loin, elle eut envie de mettre de l’ordre dans ces stylos poussiéreux, puis de remettre droite cette affiche Jaunie. Elle laissa ses gestes en suspens. Dans cette brocante à ciel ouvert, s’étalait sa vie d’antan. »

Alexandra Koszelyk est née en 1976. Elle enseigne, en collège, le français, le latin et le grec ancien. Elle vit et travaille en région parisienne.

C’est aussi une blogueuse littéraire.
Sur son blog “Bric à Book”, elle organise chaque semaine des ateliers d’écriture.