Drame, Folie, Histoire vraie, Sciences

Fukushima

Tremblements et stupeur – 10 ans après
Jean-Michel Jacquemin-Raffestin & Mickaël Naveau
Broché – 18 mars 2021
Éditions : Les éditions Trédaniel

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Fukushima, 10 ans après !
Le 11/3, c’est ainsi que les Japonais appellent désormais la catastrophe de Fukushima, ce nom qu’ils ne veulent plus entendre. C’est le 11 mars 2011 à 14 heures 46 min 23 sec, heure locale, que le Japon a vécu son plus terrible tremblement de terre de magnitude 9 sur l’échelle de Richter. Ce tremblement de terre qui va déjà endommager la centrale nucléaire de Fukushima Dai-Ishi provoque un tsunami avec une vague haute de plus de 30 mètres à certains endroits qui va ravager 600 km de côte, pénétrant jusqu’à 10 kilomètres à l’intérieur des terres. Ce tsunami a provoqué la plus grande catastrophe nucléaire civile de tous les temps. Plus grave que Tchernobyl, elle sera classée 7 sur l’échelle de INES.
La centrale de Fukushima Dai-Ishi se retrouve au cœur du désastre, privée d’électricité, il n’y a plus de refroidissement des cœurs de réacteur. Le cœur des réacteurs 1, 2 et 3 fondent et le corium perce les cuves de protection, tous les produits radioactifs volatils s’échappent. La population est d’abord évacuée sur 10 km, puis le lendemain sur 30 km. Les enseignements de Tchernobyl n’ont servi à rien. Il ne faut pas paniquer la population.
La mentalité japonaise fait qu’un tel accident était impossible, donc rien n’est prévu, les employés comme les cadres ne prennent pas les bonnes décisions parce qu’ils ne sont pas informés de ce qu’ils doivent faire. Plusieurs bâtiments explosent dans les jours suivants. La radioactivité se répand dans l’air et dans l’eau qui se déverse dans l’océan Pacifique régulièrement. Chaque semaine de nouveaux problèmes techniques, de nouvelles fuites montrent que rien n’est maitrisé.

Aujourd’hui, 10 ans après, il y a une très forte contamination des sols, des plantes, du riz, des animaux, au sol comme dans l’océan Pacifique, même en Californie les thons sont contaminés. Normal, on trouve encore de l’iode 131 radioactif dans les boues d’épuration alors que sa période de vie est de 8 jours. Il aurait dû disparaître après 10 semaines.
A présent, afin que l’État cesse de payer des compensations, les populations déplacées doivent revenir vivre sur des terres fortement contaminées. Des milliers de cancers de la thyroïde sont détectés chez les enfants, enfin reconnus par les autorités.
Le Japon a dû fermer tous ses réacteurs nucléaires dont un certain nombre ne seront jamais remis en fonction. Toutefois, il a été décidé de redémarrer le réacteur n°1 de la centrale de Sendai le jour anniversaire de Hiroshima en août 2015. Le n°2 a été redémarré le 15 octobre 2015, d’autres ont suivi, 9 ont redémarré à ce jour.

 

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Habituellement, lorsque je lis un livre, je pense au plaisir que je vais ressentir.
Les émotions qui vont me traverser quelles qu’elles soient, joie, tristesse, angoisse, etc.

Il y a quelques mois, j’ai reçu chez moi le dernier livre de Jean-Michel Jacquemin-Raffestin “Ne leur pardonnez pas ! Ils savent très bien ce qu’ils font”. J’avais déjà un doute sur tout ce qui se passait autour de nous, mais je n’aurais jamais pu imaginer jusqu’où allait la vérité.
https://leressentidejeanpaul.com/2023/04/09/ne-leur-pardonnez-pas-ils-savent-tres-bien-ce-quils-font/

Dans “Fukushima – Tremblements et stupeur – 10 ans après”, j’ai ressenti la même douleur.
Pourquoi tous ces mensonges alors que l’on sait très bien qu’un jour ou l’autre la vérité éclatera.
Encore une fois, la vérité n’est pas vraiment belle à entendre.

Le livre est scindé en deux parties.
La première est une énumération de faits clairs et précis. Des explications, des bilans, des statistiques, impossible de ne pas comprendre les données incroyables récoltées par Jean-Michel, il a mené une enquête et toutes ses sources sont indiquées.

La seconde partie, raconte le vécu de Mickaël Naveau, enseignant, qui se trouvait à Tokyo le 11 mars 2011. Son récit se lit comme une histoire, une bien triste histoire, dont on ne connaît malheureusement toujours pas la fin.

Pourquoi ?
Pourquoi ce silence coupable ?
Pourquoi ces mensonges ?
Pourquoi les autorités n’assument-elles pas et ne réagissent pas comme elles le devraient ?

Je me suis posé énormément de questions durant ma lecture, elles commençaient toutes de la même façon.
Pourquoi ?

Douze ans après la tragédie, les conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima sont loin d’être élucidées. La bataille entre le deux camps opposés n’en fini pas, et ce, malgré les preuves accablantes.

le Comité de suivi sanitaire du département de Fukushima, a communiqué ses derniers chiffres.
345 cancers de la thyroïde ont été détectés sur des personnes qui étaient mineures au moment de l’accident de Fukushima. De rapport en rapport, le total augmente.

Je ne pourrais pas en quelques mots résumer les trois cents pages de ce livre “précieux”.

Nous devons réapprendre à ouvrir les yeux, à nous poser les bonnes questions, à nous renseigner afin de voir, pour comprendre…
J’aurais aimé que ce livre n’existât jamais… Mais il est là !
Les États nous mentent, tout le monde le sait. On en a ici une énième preuve !

Merci Jean-Michel, encore une fois, de dénoncer ce scandale grâce àce travail minutieux…

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Extraits :

« Il est essentiel que le débat puisse être enfin ouvert sur les conséquences sanitaires de Fukushima et poursuivi sur celles de Tchernobyl, sans parler de la catastrophe, de Kychtym, en 1957, dans le complexe nucléaire de Maïak. À l’heure où le monde s’interroge sur ses choix énergétiques pour sortir de l’économie carbonée est où le lobby nucléaire essaye de peser pour inclure l’énergie nucléaire dans les énergies décarbonées qui seraient assimilables à tes énergies renouvelables, ce qui est évidemment tout à fait faux, il est indispensable de rappeler les conséquences sanitaires liées aux accidents nucléaires et, par voie de conséquence, les risques insupportables auxquels cette énergie expose les humains pour des générations et des générations »

« Qui nous informe aujourd’hui sur Fukushima et ses conséquences ? Que se passe-t-il là-bas ? C’est vrai, c’est très loin. Ça ne nous touche pas. Nous ne risquons rien. Donc les médias français ne s’en occupent pas trop. …/… mais les consignes sont claires : ne pas affoler la population. »

« En novembre 2013, nouvelle fuite d’eau due à un nouveau réservoir. Ces incidents se multiplient régulièrement sans solution. Le gouvernement japonais a reconnu que chaque jour, plus de 300 m3 d’eau contaminée étaient déversés dans l’Océan Pacifique près de la centrale de Fukushima. De ce fait, sur la plage de Yotsukura, la baignade est autorisée, pas en fonction de la force du vent, mais du niveau de radioactivité de l’eau dans l’océan…
Dormez tranquille, braves gens, tout va bien ! »

« Japon : la situation est imprévisible !
Non ! C’est un mensonge ! La situation est prévisible. Il existe différents scenarii, pires les uns que les autres. Quelques spécialistes n’hésitent pas à décrire la réalité, à dire la vérité comme on le fait avec un malade atteint d’un cancer. »

 

Jean-Michel Jacquemin-Raffestin nous offre un livre dans la continuité du combat qu’il mène depuis 1986 contre les ravages et les dangers de l’Industrie nucléaire dans le monde. Après Tchernobyl, cachez ce nuage que je ne saurais voir (paru chez le même éditeur), il reprend sa plume pour dénoncer le scandale de Fukushima.

Mickaël Naveau, diplômé en droit, japonais et relations internationales, a vécu à Osaka de 2002 à 2008, et depuis à Tokyo où il est enseignant.

Émotion, Histoire, Philosophique

La supplication

Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse
de Svetlana Alexievitch (Auteur)
Poche – 5 octobre 2016
Éditeur : J’ai lu

« Des bribes de conversations me reviennent en mémoire… Quelqu’un m’exhorte :
― Vous ne devez pas oublier que ce n’est plus votre mari, l’homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n’êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! « 
Tchernobyl. Ce mot évoque dorénavant une catastrophe écologique majeure. Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l’explosion de la centrale ?
Svetlana Alexievitch nous laisse entrevoir un monde bouleversant : celui des survivants, à qui elle cède la parole. L’événement prend alors une tout autre dimension.
Pour la première fois, écoutons les voix suppliciées de Tchernobyl.

 

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Bonjour à toutes et à tous.

J’ai eu beaucoup de mal à trouver des mots simples, des mots justes pour parler de ce livre. Il m’a énormément touché…
Du léger frisson sur les bras, à l’horreur au point de fermer les yeux.
Combien de larmes ai-je retenues jusqu’au point final ?
Combien de fois me suis-je levé pour marcher et respirer un coup ?

Ce n’est pas un roman.
C’est une compilation d’interviews toutes plus instructives et intéressantes les unes que les autres. C’est un concentré de douleur et d’amour, d’humanité et de monstruosité, de résignation et de colère…
Tristesse et colère, oui, c’est ça. C’est ce que je retiendrai finalement de cette lecture.

Je ne connaissais pas non plus le terme de « roman de voix » pour qualifier le travail d’un ouvrage par des témoignages.

Svetlana Alexievitch a utilisé des voix intimes et sans autre vêtement que celui d’une vérité émotionnelle propre. L’ouvrage tisse au fur et à mesure des paroles retranscrites sans fioritures. Grâce à ces multiples échanges, j’ai vu une URSS qui se divisait entre les adorateurs de Staline et les nouvelles générations, qui ne tendent plus vers les mêmes idéaux ; mais j’entendais aussi ces enfants devenus grands et auxquels les guerres ont laissé le goût de souvenirs amers ; le ressente des combats de ces populations pour l’amour de leur patrie. Ce livre se dresse d’empathie sous des non-dits qui sont devenus traumatismes, comme le fut le triste événement de Tchernobyl…
Le seul but de notre romancière de voix parait d’être honnête et de se battre, même si son arme est la plume et celle des interrogés, leurs souvenirs.
Et bien qu’elle ne se décrive pas comme une héroïne, elle n’en reste pas moins, une porteuse de lumière.
Rien n’est foncièrement mauvais ou bon et c’est pour cela qu’il est bien loin d’être simple d’expliquer les faits…
D’où l’importance des témoignages…
Et tous les témoignages recueillis convergent vers cette idée d’impuissance mais aussi d’inexpérience, de vérité cachée…
Lorsque le 26 avril 1986, un accident se produit à la centrale de Tchernobyl, on envoie les pompiers, comme s’il s’agissait d’un simple incendie. Les pauvres hommes vont ainsi se confronter à la mort.

Que ce soit les habitants de la zone, les militaires, les hommes réquisitionnés pour le “nettoyage”… Nous avons ici une relation du vécu, psychologique et concrète, des victimes. Effarement, incompréhension, inconscience quant à la gravité et aux conséquences… Et par leurs paroles reflet de l’âme Biélorusse : fatalisme, attachement viscéral au système de valeurs de l’époque (1986, juste avant la chute du communisme), avec parfois un côté très naïf, presqu’enfantin.

Si vous voulez sentir les choses de l’intérieur, à lire absolument !

Merci Alexandra Koszelyk, sans toi je serai passé à coté de ce monument littéraire !

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Extrait :

« Je me suis soudain mis avoir des doutes. Que valait-il mieux : se souvenir ou oublier ? J’ai posé cette question à des amis. Les uns ont oublié, les autres ne veulent pas se souvenir parce qu’on n’y peut rien changer. Nous ne pouvons même pas partir d’ici…
De quoi puis-je me souvenir ? Dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe, les livres sur les radiations, sur Hiroshima et Nagasaki et même sur la découverte de Röntgen on disparu des bibliothèques. On disait que c’était sur ordre des autorités, pour éviter la panique. Il y avait même une blague : si Tchernobyl avait explosé chez les Papous, le monde entier en auraient eu peur… sauf les Papous. Il n’y avait aucune recommandation médicale, aucune information. Ceux qui le pouvait achetaient des comprimés d’iodure de potassium (il n’y en avait pas dans les pharmacies de notre ville : il fallait avoir beaucoup de piston pour s’en procurer). Certains prenaient une poignée de ces comprimés en les avalant avec un verre d’alcool pur. Les secours d’urgence sauvaient ces gens de justesse.
Et puis on a trouvé un signe auquel tout le monde prêtait attention : tant qu’il y avait des moineaux et des pigeons, la ville pouvait être habitée aussi par l’homme. Un jour, j’ai pris un taxi et le conducteur s’étonnait de la manière dont les oiseaux se cognaient contre le pare-brise, comme des aveugles. Comme des fous… Comme s’ils se suicidaient… »

 

 

Prix Nobel de littérature 2015
Svetlana Alexievitch est née en 1948 en Ukraine. Elle a fait des études de journalisme en Biélorussie, où ses parents étaient instituteurs. Sa première publication, La guerre n’a pas un visage de femme, en 1985, sur la Seconde Guerre mondiale, dénoncée comme « antipatriotique, naturaliste, dégradante » mais soutenue par Gorbatchev est un best-seller. Chaque nouveau livre est un événement et un scandale : Les Cercueils de zinc, en 1989, sur la guerre d’Afghanistan, qui la fait connaître en France et sera adapté pour le théâtre par Didier-Georges Gabily ; Ensorcelés par la mort, en 1993, sur les suicides qui ont suivi la chute de l’urss ; et La Supplication, en 1997, sur Tchernobyl. Elle vit de nouveau à Minsk, après un long séjour à Berlin.
Son ouvrage La Fin de l’homme rouge. Le temps du désenchantement (Actes Sud, 2013), sur la fin de l’urss et ce qui a suivi, a été classé meilleur livre de l’année 2013 par le magazine Lire et a reçu le prix Médicis Essai.