Psychologie

Marge brute

de Laurent Quintreau
Broché – 21 août 2006
Éditions : Denoël

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Et si l’enfer n’était plus dans l’au-delà mais dans l’état-major d’une multinationale ? Onze cadres prennent la parole autour d’une table lors d’un sacro-saint comité de direction. Onze voix composent ce roman à la manière des cercles de l’Enfer de Dante. Il y est question de dividendes, de restructuration et de licenciements. Mais aussi de l’intimité la plus triviale, des désirs les plus inavouables. Entre le quotidien minuté de la cadre mère de famille et l’hyper-violence autodestructrice de l’ex-chef d’entreprise, entre le cynisme dépravé du jeune branché et le désespoir glacé de la directrice du personnel, entre la perversion froide de la femme de pouvoir et les fantasmes libidineux du bellâtre bureaucrate, un seul point commun: chacun, du fond de sa frustration et même de sa folie, est en guerre contre tous les autres. Au centre de cette Divine Comédie, tel une sorte de Lucifer boursier, trône Rorty, le président, “nettoyeur aux mains propres, serial-killer au regard d’azur”. Marge brute est une charge hilarante et cruelle contre la jungle du business et ses névroses.

 

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Qui n’a jamais rêvé d’entendre les pensées des autres, c’est ce que nous propose Laurent Quintreau dans son roman “Marge brute”, et pas dans n’importe quelle situation, l’auteur nous fait entrer dans la tête de onze cadres lors d’une réunion d’un comité de direction, il sera question de dividendes, de restructuration, mais bien plus aussi, nous allons carrément entrer dans la tête de chacun de ces cadres, percevant ainsi toutes leurs pensées, même les plus personnelles, celles que nous avons toutes et tous eues à l’encontre de nos collègues, mais aussi des pensées qui sortent définitivement du cadre professionnel, des envies de meurtre pour certains ou certaines, envies sexuelles complètement débridées pour d’autres, il sera aussi question de rapport de forces, de hiérarchie, de licenciement, de démissions et bien d’autres choses encore, j’avoue avoir souri à de nombreuses occasions, cocasses ou farfelues, mais j’ai aussi eu envie de brutaliser, voire plus, ceux qui ne pensent qu’aux profits au détriment des valeurs amicales ou sociales quelles qu’elles soient dans le monde du travail, pour certains l’idée même du pouvoir est telle, qu’ils sont prêts à tout et Laurent nous fait dans son récit, un condensé, qui je pense doit être très proche de la réalité, d’ailleurs je me suis moi-même reconnu à certains moments… tout va vite les idées fusent, chacun étant le maître de son propre esprit, il n’y a pas d’hésitation, chaque idée est le reflet d’un ressenti à l’instant “T”, qui peut en quelques instants changer diamétralement en fonction du sujet, et Dieu sait s’il y en a, la lecture va très vite, on est porté, subjugué parfois, malgré le fait qu’il n’y ait aucun dialogue dans le récit, cela reste vraiment très rythmé, au point que j’ai eu du mal parfois à reprendre mon souffle, chaque idée, chaque action s’enchaînant à une vitesse folle, heureusement j’avais entamé ma lecture en me rendant sur mon lieu de travail, il a donc bien fallu que je stoppe en arrivant, mais j’ai une très “forte/fâcheuse” habitude, c’est que je ne stoppe jamais mes lectures avant d’arriver à la fin d’un chapitre, j’ai donc lu encore quelques pages avant de pouvoir faire ma “pause”… et c’est en reprenant mon livre le soir même en rentrant chez moi, que je me suis rendu compte que la phrase qui débutait le chapitre, ne commençait pas par une majuscule, elle était donc liée à la phrase d’avant, se trouvant à la fin du chapitre précédent, et c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte, que… comme pour les idées qui émergent dans nos esprits, qui ne s’arrêtent jamais, la construction du récit était identique, Laurent, en plus d’une histoire qui nous tient vraiment en haleine, a réussit une prouesse supplémentaire en écrivant la totalité de son récit, qui se déroule sur 122 pages, avec “une seule phrase”, seules les virgules, les trois petits points, mais surtout les changements de chapitres, nous permettent de respirer, jamais je n’aurais cru cet exploit possible si je ne l’avais pas vu et lu par moi-même et ce qui est incroyable, c’est que cela fonctionne admirablement bien, la forme et le fond s’allient dans une même direction, car pour moi “sa phrase” a fait mouche et je suis bien content qu’un ami m’ait proposé ce livre à la littérature très différente, mais délicate, qui raconte une réunion, qui au demeurant aurait dû et pue être très insipide à n’importe quelle personne étrangère à l’entreprise, et pourtant j’ai eu l’impression d’être le spectateur d’une très bonne pièce de théâtre, et aujourd’hui, je n’ai qu’une hâte… notre prochaine réunion ?

« Marge Brute », un roman inclassable né du fruit de nombreuses observations et réflexions de l’auteur.
Qui ne se reconnaîtra pas dans ce récit ?
Personnellement, j’ai passé un très bon moment, et pour un premier roman, c’est vraiment une belle réussite…
Bravo Laurent Quintreau !

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Extraits :

« … Rorty répète à quel point il est important que les managers présents ici se sentent impliqués dans le fonctionnement de l’entreprise, une entreprise qui a réalisé une excellente année avec une marge opérationnelle de plus de quinze pour cent au dernier trimestre mais qui doit, plus que jamais, confirmer cette progression, ce n’est pas le moment de baisser la garde, nous devons faire toujours plus, toujours mieux, j’ai bien peur, grimace finement Rorty, que nous soyons tous condamnés à l’excellence, plusieurs personnes sourient, Pujol ricane, la Brémont se tortille sur son siège, Castiglione prend un air entendu, ses petits yeux enfoncés et son nez pointu lui donnent un air de renarde rusée,… »

« … Rorty parle à Françoise, elle a un mois pour engager une procédure de licenciement à l’encontre des salariés les moins productifs de son service, elle proteste, elle ne comprend pas, tout le monde travaille au moins dix heures par jour, les dossiers sont traités en flux tendu, elle n’a jamais payé ses collaborateurs à ne rien faire, de Vals ondule de la tête, il voudrait nous faire bénéficier de son expérience sur le dossier stagiaires, il évoque de nouveaux venus de son équipe, deux jeunes diplômés frais émoulus d’écoles supérieures de commerce de je ne sais plus quelle ville de province, Reims, Nantes ou Poitiers qui abattent un travail phénoménal, ils restent parfois jusqu’à minuit et ne se plaignent jamais,… »

« … j’ai les poumons en feu, je vais tousser, trois paquets par jour, bon score, excellent score, mon cher Richard, vous êtes en train de battre votre propre record, fumer tue, fumer réduit la fertilité, fumer rend impuissant, fumer provoque des maladies graves, pauvres cons, quand bien même vous vous prémunirez contre le cancer du fumeur, vous ne pourrez jamais ordonner à un nuage radioactif de s’arrêter à vos frontières ou à une fibre d’amiante de reculer devant vos poumons, ni au plomb, ni au mercure, ni aux émanations mortelles des revêtements en polytétrafluoréthylène des poêles à frire de vous éviter, ni aux pesticides, ni aux particules allergogènes et cancérigènes des matériaux composites, ni au solvant, ni aux molécules de dichlorodiphényltrichloréthane, de diphényles polychlorés, d’ignifuges phtalates et de composés perfluorés détectés dans le sang de trente-neuf députés britanniques de vous ignorer, vous, tout ça parce que vous ne voulez pas mourir d’un cancer,… »

« … qu’est-ce que je fiche ici, entouré de tous ces fous authentiques, pourquoi ne font-ils participer à leur comité stratégique, je n’ai même pas fini ma période d’essai, tant mieux, je peux partir sans donner de préavis, il est peut-être encore temps de le faire, je savais que le monde de l’entreprise était dur mais à ce point, quand je vois cet empilement d’insatisfactions, de souffrances, de ressentiment et de volonté de puissance ubuesque j’ai envie de prendre mes jambes à mon cou, partir pour ne plus jamais revenir, je suis venu ici pour manager des équipes, pas pour licencier des salariés que je ne connais même pas, c’est pourtant la seule chose qui les intéresse, alléger la masse salariale, diminuer les charges, ils n’ont que ce mot à la bouche,… »

 

 

Laurent Quintreau, qui fut l’un des membres fondateurs de la revue Perpendiculaire, réalise régulièrement des performances en art contemporain. Créatif pour l’agence de publicité Publicis, il revendique haut et fort son activité de syndicaliste. Il s’inspire du monde du travail, de son expérience des comités de direction et de l’hypocrisie qui règne dans les hautes sphères d’une grande entreprise pour publier en 2006 le roman “Marge brute”. En 2009, Laurent Quintreau signe “Mandalas”, un ouvrage à la croisé des mondes, qui fait se côtoyer l’univers des cadres sup’ et la sagesse des moines tibétains…

Cercle littéraire

Mon mari

de Maud Ventura
Broché – 19 août 2021
Éditeur : Iconoclaste

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“Excepté mes démangeaisons inexpliquées et ma passion dévorante pour mon mari, ma vie est parfaitement normale. Rien ne déborde. Aucune incohérence. Aucune manie.”
Elle a une vie parfaite. Une belle maison, deux enfants et l’homme idéal. Après quinze ans de vie commune, elle ne se lasse pas de dire “mon mari”. Et pourtant elle veut plus encore : il faut qu’ils s’aiment comme au premier jour. Alors elle note méthodiquement ses “fautes”, les peines à lui infliger, les pièges à lui tendre. Elle se veut irréprochable et prépare minutieusement chacun de leur tête-à-tête. Elle est follement amoureuse de son mari. Du lundi au dimanche, la tension monte, on rit, on s’effraie, on flirte avec le point de rupture, on se projette dans ce théâtre amoureux.

 

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Dans le cadre de nos réunions mensuelles du Cercle littéraire de Maffliers nous avons pu rencontrer Maud Ventura pour son Roman “Mon mari”…
Elle s’est prêtée gentiment aux “jeu” des questions/réponses tout le long de la soirée !
J’ai découvert une personne, très agréable qui a su développer son ouvrage et m’a personnellement éclairé sur certains points que je n’avais pas perçus.

Aujourd’hui, je suis triste…
Ayant vu les différents retours du premier roman de Maud Ventura, je me faisais un plaisir de le lire… Mais, malheureusement, je n’ai pas été suffisamment capté pendant ma lecture.
Alors, oui, je suis triste, d’être passé à côté du roman de Maud.

Pourtant, les deux premiers chapitres m’ont plutôt plu !
Singuliers. Un monologue écrit à la première personne, avec un style alerte, les descriptions des petits riens du quotidien, réalistes par certains aspects, mais souvent répétitifs avec un humour à froid parfois tranchant.
L’héroïne, une femme, professeure d’anglais et traductrice (on ne connaîtra jamais ni son prénom, ni son nom), est obsédée par le parfait amour, et raconte SA vie auprès de son Mari (dont on ne connaîtra pas non plus le prénom).

Maud dresse un portrait dépeignant cette femme sur le qui-vive, qui a tout pour être comblée et qui au fil du roman va devenir beaucoup plus inquiétante que je ne l’avais imaginé.
Le récit se découpe en sept chapitres, les sept jours de la semaine, auxquels elle attitrera pour chacun une couleur différente représentative de sa perception de la journée.
Comme je l’expliquais plus haut, le lundi et le mardi se sont bien déroulé…

Mais… à partir de mercredi, j’ai trouvé le récit malheureusement ennuyant.
Certes, il y a çà et là, de très bonnes idées qui émanent, tantôt pétillantes, parfois effrayantes. Mais il m’aura fallu attendre l’excellent épilogue, pour sortir d’un rythme qui était devenu pour moi, trop répétitif.

Aujourd’hui, je suis triste…
Je suis passé à côté du premier roman de Maud Ventura…
Aux vues des critiques positives attribuées au récit, depuis sa sortie, je vous conseille de vous faire votre propre avis !

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Extraits :

« Je suis amoureuse de mon mari. Mais je devrais plutôt dire : je suis toujours amoureuse de mon mari.
J’aime mon mari comme au premier jour, d’un amour adolescent et anachronique. Je l’aime comme si j’avais quinze ans, comme si nous venions de nous rencontrer, comme si nous n’avions aucune attache, ni maison ni enfant. Je l’aime comme si je n’avais jamais été quittée, comme si je n’avais rien appris, comme s’il avait été le premier, comme si j’allais mourir dimanche. »

« Louise est sublime dans sa longue robe noire, et je ne peux pas m’empêcher de lui faire remarquer que cette couleur et cette coupe lui vont bien. Je m’en veux au moment même où les mots sortent de ma bouche. C’est un travers que je tente de corriger depuis des années : je commente systématiquement un collier, une tenue, un rouge à lèvres ou un parfum qui me plaisent (il faudrait que je me contente de me renseigner discrètement pour savoir d’où ils viennent et acheter les mêmes plus tard). J’ai toujours éprouvé une admiration démesurée pour les femmes de mon entourage, et le leur faire sentir me place insidieusement en infériorité par rapport à elles. Il faut que j’apprenne à ne pas le faire. À moins le faire. Louise me remercie, mais ne me retourne pas le compliment. Dans les milieux bourgeois, on se complimente peu. »

« Depuis que j’ai rencontré mon mari, mes parents, mes sœurs, mes collègues n’ont cessé de commenter mon bonheur. Ils l’affirment tous avec assurance : « Tu en as de la chance ». On me dit que j’ai de la chance comme si j’avais gagné mon mari au loto. On se comporte avec moi comme si j’avais déjoué les statistiques et les probabilités en l’épousant. En d’autres termes, on suggère qu’il aurait pu trouver mieux. »

« Je quitte l’hôtel avec légèreté. J’ai passé un bon moment, même si je sais que c’était pour de faux, comme disent les enfants. C’était bien, mais ça ne compte pas. Cette liaison ne sera ni féconde ni productive : aucun enfant, aucun mariage, aucun bijou ne sortira de cette fin d’après-midi passé avec Maxime. Même la photo de mon dos, unique témoin de ce moment, a été supprimée. De nous deux, il ne reste déjà plus rien. »

 

 

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Maud Ventura a vingt-huit ans et vit à Paris. Elle est titulaire d’un master en philosophie de l’École normale supérieure de Lyon (2013-2015) et d’un master en ménagement d’HEC Paris (2016-2019).

Elle rejoint France Inter juste après ses études. Depuis 2021, elle est rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe de radios, NRJ.
Elle ne cesse d’explorer la complexité du sentiment amoureux dans son podcast “Lalala” et dans son premier roman Mon mari.