Adolescence, Émotion, Roman

Les Toiles de la discorde

de Albert Ducloz
Broché – 4 janvier 2024
Éditions : Éditions de borée

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1954. Doué pour les arts graphiques, le jeune François Dufour s’inscrit à l’école des Arts du Puy-en-Velay et sympathise avec sa jeune voisine, Émeline Landry. Bientôt, celle-ci pose nue pour François. Furieux, les parents du jeune artiste détruisent le tableau. Les deux adolescents, après avoir fugué, trouvent refuge chez leur professeur de peinture, Sébastien Favre, et sa femme, la belle Clara. Alors encouragé par son professeur, François reprend la peinture de nus et se met rapidement en tête de peindre Clara. Sébastien, bien que très réticent, accepte. Un choix qu’il ne tardera pas à regretter…

 

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1954, François Dufour a une passion pour le dessin et en plus, il est doué. Tous les ans pour Noël, il se fait offrir des crayons de couleur, des carnets de croquis. Puis il découvre la peinture. Maintenant, il sait ce qu’il veut faire plus tard. Mais comment l’annoncer à sa famille. Finalement, grâce à son talent, il est encouragé par un professeur à rejoindre l’école des Art du Puy-en-Velay tous les jeudis en plus de ses cours hebdomadaires. Émeline Landry, une jeune voisine, aime aussi le dessin. François demande à son professeur M. Favre, s’il peut y avoir une possibilité qu’elle intègre le cours avec lui. Au contraire, lui répond-il, elle sera la première fille du groupe.

Ainsi commence ce récit que j’ai énormément apprécié. L’histoire m’a replongé dans mon enfance, où je passais des heures et des heures à dessiner, à colorier, jamais fatigué j’en voulais toujours plus, et plus un jour plus tard, à l’adolescence, j’ai intégré un établissement d’Art Graphique. Dessins, perspective, peintures, natures mortes et nus. Je me suis revu, dans le récit d’Albert Ducloz. J’étais tout jeune avec cette dualité, timidité et fonceur, car j’en voulais toujours plus. d’ailleurs, j’ai trouvé les premiers cours du récit très bien racontés. puis très vite, ce furent mes premiers cours de nus. La gène d’abord, de voir des femmes plus âgées que moi complètement dévêtues qui nous regardaient et nous mettaient à l’aise. La colère de mes parents, lorsqu’ils apprirent en quoi consistaient certains de nos cours. Moi, je ne voyais que des modèles, souvent des femmes, rarement des hommes. L’univers de la peinture ne m’est donc pas inconnu et c’est pour cela que je voulais lire ce roman fort bien écrit et très intéressant. La passion des jeunes artistes qui se mêle à une jalousie qui ne peut pas, ne pas exister. Ils sont jeunes, ils sont amoureux. Mais quand est-il lorsque François veut peindre une autre femme ? Comment réagira Émeline ? D’autant plus que cette femme n’est autre que la femme de M. Favre, leur professeur…

Une bien belle histoire qui m’a portée dans un monde agréable où je me suis attaché aux personnages, les descriptions aussi sont particulièrement réussies. Je ne connaissais pas Albert Ducloz, c’est une très belle découverte !

Un grand merci aux Éditions De Borée pour leur confiance renouvelée…

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Extraits :

« Les derniers jours de juin 1954 se prélassent au village de Lavoûte-sur-Loire, au cœur de la Haute-Loire. Nous touchons aux vacances d’été. À cette époque, ce havre de paix où je suis né prend ses aises à la campagne. Mon père, lorsqu’il a planté les arbres du verger, s’y est pris de telle sorte que la famille puisse disposer de fruits toute l’année. Des claies menuisées de ses mains et installées à la cave permettent d’y conserver pommes et poires hors de l’humidité et d’attendre ainsi le prochain printemps pour le parfait mûrissement des premiers fruits rouges. »

« Au jour convenu, aussitôt à pied d’œuvre, nous posons nos vélos contre le premier tronc venu, pénétrons bravement en forêt sans craindre les fougères et choisissons nos places. J’observe les frondaisons aux orangés luisants du soleil d’après-midi et les ors des feuillages que les premières gelées n’ont pas encore fait tomber. Face à moi, légèrement en recul, je surprends deux hêtres dont les troncs se nouent a s’embrasser. Je n’ose encore imaginer qu’ils pourraient être Émeline et moi-même. De temps à autre, un coup de vent fait envoler les feuilles qui virevoltent comme des flocons jusqu’à se laisser aller à rejoindre celles qui avant elles ont épousé le sol. »

« Sur la route du retour, pédalant côte à côte, nous profitons d’un chemin qui s’égare de la route et l’empruntons pour le quitter vers un bosquet ; contre un bouleau, nous posons nos vélos et, longuement, longuement, nous nous embrassons.
C’est la première fois. Pas suffisamment longtemps, certes, les parents sont exigeants sur les horaires de retour, mais enfin, à partir de ce très long baiser, Émeline et moi ne sommes plus seulement amis.
Un baiser hebdomadaire, si long et passionné soit-il, ne nous suffit pas. Nous cherchons et nous trouvons. Nous allons prendre prétexte de peindre pour nous retrouver, mais où ? »

 

Albert Ducloz écrit pour son propre plaisir depuis l’enfance romans, poésies, contes et nouvelles. En 2002, après une carrière de directeur d’établissement de soins, il publie son premier roman, Citadelles d’orgueil. En 2015, il obtient le prix du Cercle littéraire Médicis pour son roman Les Trois Promesses et, la même année, le prix La Plume et la Lettre pour Le Chant d’Aurore. Avec Les Toile de la discorde, il signe son dix-septième roman aux éditions De Borée.

Émotion, Histoire, Philosophique

L’homme qui peignait les âmes

de Metin Arditi
Broché – 2 juin 2021
Éditeur : Grasset

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Acre, quartier juif, 1078. Avner, qui a quatorze ans, pêche avec son père. À l’occasion d’une livraison à un monastère, son regard tombe sur une icône. C’est l’éblouissement. « Il ne s’agit pas d’un portrait mais d’un objet sacré, lui dit le supérieur du monastère. On ne peint pas une icône, on l’écrit, et on ne peut le faire qu’en ayant une foi profonde ».
Avner n’aura de cesse de pouvoir « écrire ». Et tant pis s’il n’a pas la foi, il fait comme si, acquiert les techniques, apprend les textes sacrés, se fait baptiser, quitte les siens. Mansour, un marchand ambulant musulman, le prend sous son aile. C’est l’occasion d’un merveilleux voyage initiatique d’Acre à Nazareth, de Césarée à Jérusalem, puis à Bethlehem, jusqu’au monastère de Mar Saba, en plein désert de Judée, où Avner reste dix années où il devient l’un des plus grands iconographes de Palestine.
Refusant de s’astreindre aux canons rigides de l’Eglise qui obligent à ne représenter que Dieu et les saints, il ose reproduire des visages de gens de la vie ordinaire, cherchant dans chaque être sa part de divin, sa beauté. C’est un triomphe, c’est un scandale. Se prend-il pour un prophète ? Il est chassé, son œuvre est brûlée. Quel sera le destin final d’un homme qui a osé défier l’ordre établi ?
Le roman de l’artiste qui, envers et contre tous les ordres établis, tente d’apporter de la grâce au monde.

 

2022_025_Arditi Metin - L'homme qui peignait les âmes

 

Nous sommes à Acre en l’an 1078.
Avner est un jeune Juif, fils de pêcheur, il a quatorze ans. Régulièrement, il va livrer au monastère de la Sainte-Trinité, les poissons qu’ils ont pêchés ensemble. Et, régulièrement, il est accueilli chaleureusement par les frères. Dont un, Thomas, qui connaît bien sa gourmandise et lui prépare des mets à chaque fois meilleurs, mélange de sucré, fruité et salé.
Avner, pour les déguster, aime s’installer à l’ombre sous un figuier, près de l’église. Endroit qu’il nomme, Le Petit Paradis. Il aime écouter la douceur du chant des moines orthodoxes, sentir le vent à travers ses cheveux et observer la nature, les animaux et tout particulièrement un papillon doré, le « Roi des Rois », qui lui rend visite de temps en temps.

Un jour, alors qu’il dessine de mémoire, “son” papillon, il est puni par son père. Il ne comprend pas pourquoi la représentation est interdite dans sa religion. Il ne voulait que célébrer la beauté du monde…

Lors d’une livraison de poisson au monastère, un jour sa curiosité l’emporte et se laissant bercer par les chants liturgiques, il entre dans le lieu de culte.
Dès lors, sa vie va changer à jamais, lorsqu’il voit pour la première fois une icône peinte. Éblouis pas cette beauté sur fond d’or, le garçon veut devenir iconographe !

Commence alors un parcourt qui impliquera une reconversion au christianisme, à la grande honte de sa famille, qui le mènera vers un long chemin d’apprentissage, où il fera la connaissance de Mansour, un marchand musulman, qui s’occupera d’Avner, comme s’il était son fils…

À travers cette histoire prenante Metin Arditi rend hommage à l’art sacré de l’iconographie et tout particulièrement à Avner, un homme bon, passionné par son art et par la beauté des hommes et des femmes, dans un pays où juifs, musulmans et chrétiens sont en conflit constant. Avner se donne une mission. Il veut peindre les âmes, et mettre en avant ce qu’il y a de meilleur chez les êtres humains. Il souhaite que tout le monde s’aime et célébrer ainsi la beauté du monde…

Je découvre Metin avec ce roman rempli d’émotions à chaque chapitre. Ce récit, très riche en rencontres dans le Proche-Orient du XIe siècle, fait vivre des personnages attachants quelles que soient leurs religions. Metin mêle avec talent l’Histoire, où le fanatisme religieux tue et n’offre aucune liberté, mais il met en valeur, tout ceux qui avaient une vision différente du monde et qui à travers les siècles, ont pu faire évoluer les esprits les plus ouverts.

De courts chapitres, une écriture belle et apaisante.
Coup de cœur pour ce roman, où la douceur se fait une place dans un monde qui malheureusement renouera très vite avec les violences de son temps…

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Extraits :

« Avner se saisit de la galette et la mordit, ayant soin de prendre en bouche une figue entière. Durant quelques instants, il se tint immobile, les yeux fermés, a humer le parfum dégagé par les petits fruits restés sur la galette. Il était à la fois délicat et enivrant, le même dont il s’emplissait les poumons lorsqu’il était étendu sous le figuier.
Très vite, l’onctuosité du fromage, la douceur du sirop et la tendresse du fruit lui procurèrent une succession de plaisir qu’il s’amusa à identifier, selon que c’était le fromage, le sirop ou le fruit qui caressait son palais. »

« Pourquoi alors ne pouvait-il s’émerveiller des chants orthodoxes ? Parce qu’il était juif ? Cette obligation d’obéir à des lois ridicules, d’avoir le droit d’aimer ceci, mais pas cela, de se couper de plaisirs délicats, de joies innocentes, au risque de voir son père exploser de colère, tout cela le révoltait. »

« Avner transgressait chaque jour davantage. Étendu près de Myriam, il la caressait comme s’il peignait l’ovale de son visage, son nez, ses lèvres, ses yeux, son front, puis à nouveau l’ovale, le menton, et ainsi de suite, très lentement, avant de l’embrasser, lèvres écartées, et de frotter son corps contre le sien jusqu’à ce que vienne leur plaisir. »

« Prier avec un musulman si tu es juif, prier avec un chrétien si tu es musulman, ce sont des actes de fraternité. Je suis sûr qu’ils plaisent au Tout-Puissant. Il se dira : voilà un homme de paix.
Ces mots apaisèrent Avner. Malgré tout, il s’interrogea. Juifs, chrétiens et musulmans pouvaient-ils se joindre dans la prière en un même lieu ? Au même moment ? »

 

 

Écrivain francophone d’origine turque, Metin Arditi a quitté la Turquie à l’âge de sept ans, et a obtenu la nationalité suisse en 1968.

Après onze années passées dans un internat suisse à Lausanne, il étudie à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, où il obtient un diplôme en physique et un diplôme de troisième cycle en génie atomique. Il poursuit ses études à l’université Stanford.

Il habite Genève, où il est très engagé dans la vie culturelle et artistique. De 2000 à 2013, il a été Président de l’Orchestre de la Suisse romande. Il est membre du Conseil stratégique de l’École polytechnique de Lausanne où au fil des ans, il a enseigné la physique (assistant du Prof. Mercier), l’économie et la gestion (comme chargé de cours) et l’écriture romanesque (en tant que Professeur invité).

En décembre 2012, Metin Arditi a été nommé par l’UNESCO Ambassadeur de bonne volonté. En juin 2014, l’UNESCO l’a nommé Envoyé spécial puis, en 2017, Ambassadeur honoraire.

De 2016 à 2019, il a tenu une chronique hebdomadaire dans La Croix.

Il est l’auteur d’essais et de romans, parmi lesquels Le Turquetto (Actes Sud, 2011, prix Jean Giono), et chez Grasset, L’enfant qui mesurait le monde (2016, prix Méditerranée), Mon père sur mes épaules (2017) et L’homme qui peignait les âmes (Grasset, 2021). En 2022, il a publié le Dictionnaire amoureux d’Istanbul (Plon-Grasset).