Les Déracinés****
de Catherine Bardon
Poche – Illustré, 7 avril 2022
Éditeur : Pocket

Depuis son retour à Sosúa, en République dominicaine, Ruth se bat aux côtés d’Almah pour les siens et pour la mémoire de sa communauté, alors que les touristes commencent à déferler sur l’île. Passionnée, sa fille Gaya affirme son indépendance et part étudier aux États-Unis, où Arturo et Nathan mènent leurs vies d’artistes.
La tribu Rosenheck-Soteras a fait sienne la maxime de la poétesse Salomé Ureña : “C’est en continuant à nous battre pour créer le pays dont nous rêvons que nous ferons une patrie de la terre qui est sous nos pieds.”
Mais l’ Histoire, comme toujours, les rattrape : de l’attentat du World Trade Center au terrible séisme de 2010 en Haïti, en passant par les émeutes en République dominicaine… chacun devra tracer son chemin, malgré les obstacles et la folie du monde.

Un invincible été clôt cette magnifique saga coup de cœur. Un dernier tome que j’ai particulièrement apprécié, même si j’ai Ressenti de la tristesse tout au long de ma lecture. Tristesse, car Catherine nous conte les derniers moments de vie de certains personnages que je côtoyais comme des amis, tristesse, car je sais que je ne les “reverrai” plus… Ils me manqueront…
La saga a commencé dans les années 30 à Vienne, ce dernier tome qui ne peut pas se lire indépendamment des trois autres, raconte un peu plus de trente ans de la famille d’Almah et Wilhem, qui réside désormais à Sosúa, couvrant la période 1980 à 2012. La plupart des anciens de la colonie ont disparu petit à petit. Almah et sa fille Ruth se battent afin que personne ne les oublie jamais, malgré ce monde nouveau qui évolue à toute vitesse, et les grands événements du monde qui nous ont tous marqué. Chute du mur de Berlin, les deux tours du World Trade center qui se sont effondrées, le réchauffement climatique et les tremblements de terre à Haïti. Chacune de ces épreuves va unir et renforcer les liens déjà très fort qui les unissaient tous.
Plus qu’un hommage à la communauté juive, Catherine Bardon nous offre une formidable leçon de vie dans tous les sens du terme. Le roman est beau. Il est fort et triste. Il distille même de la nostalgie. Mais il est particulièrement empreint d’une énergie et d’un grand optimisme chez cette famille depuis le tout premier tome !
Merci Catherine, pour ce travail exceptionnel que tu as réalisé, pour ce cadeau que tu nous offres. Je suis allé à Sosúa avec l’empreinte de tes mots dans mon esprit. Avec ma femme, nous nous sommes beaucoup promenés, nous nous sommes même amusés à nous “perdre” plusieurs fois afin de rencontrer les personnes que tu décrivais dans tes romans. Celles et ceux qui vivent sur place. Nous avons connu ainsi de merveilleux moments d’échanges et de partages dans des endroits encore un peu “perdus” où la mondialisation n’a pas encore utilisé son rouleau compresseur.
Ainsi s’achève donc cette tétralogie merveilleuse et poignante… À lire absolument !
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Extrait :
« Gaya redoutait cette cérémonie. Quinze ans. Est-ce qu’on en faisait tout un plat pour les garçons ? On allait lui coller une étiquette sur le front : « Femme, prête à être courtisée, prête à être… consommée. » Absurde !
Elle avait été tentée à maintes reprises de se dérober.
Si elle l’avait vraiment voulu, il n’y aurait pas eu de fête. Mais elle aimait trop les siens pour les décevoir.
Et puis il fallait rendre les invitations aux fêtes de ses amies et elle ne pouvait être en reste avec Alicia et Elvira, ses cousines. Gaya entrerait dans sa vie de femme par la porte solennelle de la quinceañera. C’était ainsi dans son île. Une obligation familiale, sociale, culturelle, autant que mondaine. »
« Et voilà, Gaya, ma petite sauvageonne, entrait dans le monde des adultes. Comme la mienne, son enfance de liberté avait fait d’elle une fille aventureuse, résistante, endurante et combative. Gaya et son charme d’animal sauvage, sa brusquerie de garçon manqué, ses extravagances de tête brûlée, son regard farouche d’adolescente en colère, ses jambes musclées habituées à courir le campo, ses seins trop ronds, cette poitrine apparue tardivement dont je savais qu’elle l’encombrait inutilement, Gaya et sa détermination qui pouvait virer à l’entêtement, voire à la rébellion, Gaya et ses contradictions que je percevais intuitivement sans qu’elle s’en fût jamais ouverte à moi. »
« Chaque fois que j’écrivais à Arturo, et ça ne m’arrivait qu’avec lui, je sentais une fièvre s’emparer de moi, un élan me propulser. Et je me disais que, oui, j’aimais écrire, j’aimais choisir le mot juste, l’adjectif lumineux, l’adverbe astucieux, ordonner les termes, utiliser les signes de ponctuation déconsidérés. Je réfléchissais à chaque phrase, je voulais qu’elle exprime au plus juste ce qui était tapi au fond de moi. Nul doute que j’y mettais bien plus de cœur qu’à la rédaction de mes articles, même les plus excitants. Écrire à Arturo, c’était mettre mon âme à nu, mon cœur noir sur blanc, et je savais qu’en me lisant, il en avait l’intuition intime. Car dans le tourbillon de nos vies, il y avait la permanence rassurante de notre relation, qui jamais ne s’essoufflait.
Je vérifiai avec de douces pressions que la pompe de mon stylo n’était pas grippée et je sortis mon beau vélin, lisse et doux, sur lequel ma plume glissait comme sur de la soie. »
« On doit chaque fois écrire comme si l’on écrivait pour la première et la dernière fois. Dire autant de choses que si l’on faisait ses adieux et les dire aussi bien que si l’on faisait ses débuts. »
Depuis leur rencontre fortuite, Catherine Bardon est une amoureuse de la République dominicaine. Ce pays l’a instantanément habitée, et, à travers ses guides de voyage et un livre de photographie, elle a toujours cherché à savoir ce qui se cachait derrière l’image trop policée de peinture naïve, les réalités politiques, sociales, culturelles.
En 1991, elle est émue par la rencontre avec l’un des derniers pionniers de Sosúa. Quelques années plus tard, elle décide de raconter l’histoire de cette colonie juive installée à partir de 1940 sur l’île dans la saga Les Déracinés, publiée aux Éditions Les Escales.
Les trois premiers tomes :
– Les Déracinés
– L’Américaine
https://leressentidejeanpaul.com/2020/07/06/lamericaine/
– Et la vie reprit son cours
https://leressentidejeanpaul.com/2023/11/22/et-la-vie-reprit-son-cours/
– Un invincible été, quatrième et dernier volume de la saga, a paru en 2021 chez le même éditeur.





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