de Carole Martinez
Poche – 10 février 2022
Éditions : Folio

« Alors que les roses s’attardent, énormes dans la lumière rasante, le doute la saisit pour la première fois. Et si, à force de se dire heureuse, elle était passée à côté du bonheur… » D’origine andalouse, Lola mène en Bretagne une vie solitaire et sans éclat. Dans sa chambre, face au lit où elle s’interdit de rêver, trône une armoire pleine de coeurs en tissus. Ils renferment les secrets rédigés par ses aïeules avant de mourir. Cette vieille coutume espagnole défend cependant à l’héritière de les ouvrir. Jusqu’au jour où l’un des cœurs se déchire…

J’adore cet univers, entre rêves et réalité !
Il y a des romans qui ne se lisent pas, ils se respirent. Les Roses fauves de Carole Martinez en fait partie. Dès les premières pages, j’ai eu la sensation d’entrer dans un conte, d’être happé par des mots magiques, par une langue charnue, mélodieuse, habitée d’images et de parfums. L’écriture de Carole m’a une nouvelle fois enveloppé, à la fois douce et âpre, comme un pétale traversé d’épines.
Je me suis laissé guider jusqu’en Bretagne, là où une écrivaine en quête d’inspiration rencontre Lola Cam, une modeste postière au cœur vacillant, héritière d’une lignée de femmes mi-espagnoles, mi-bretonnes. Dans son armoire sommeillent cinq cœurs cousus, chargés de secrets, de douleurs, de destins féminins. Un seul s’est ouvert, celui d’Inès Dolores, et avec lui s’est libéré un souffle, un parfum, une mémoire.
Page après page, plusieurs vies s’entrelacent, celle de Lola bien sûr, mais aussi celle d’Inès, et celle de l’auteure elle-même qui se glisse dans le récit, brouillant les frontières entre la réalité et la fiction. J’ai adoré ce vertige, cette impression de ne plus savoir où j’étais, où commençait l’histoire, et où elle finissait. Petit à petits les cœurs s’ouvrent, les fleurs naissent, et le fantastique s’invite discrètement, comme une brume qui s’accroche aux mots.
Carole a ce talent rare et immense de faire éclore la poésie dans la souffrance et la beauté. Ses femmes sont toujours aussi fières, mais aussi blessées et parfois envoûtantes. Chacune porte en elle un monde, une lignée ou un secret.
Et ce parfum de roses fauves semble tantôt promesse d’amour, tantôt présage de mort. N’essayez surtout pas d’anticiper les pages. Laissez-vous porter dans un monde entre rêve et réalité… et ses passages réguliers en italiques…
Je me suis laissé bercer, égarer, puis bouleverser.
Au final, j’ai refermé le livre, une fois encore, le cœur plein d’émotions, ivre de mots, de senteurs et de songes.
Carole m’a de nouveau ensorcelé entre magie et poésie. Ses Roses fauves m’ont piqué l’âme, mais que c’est bon…
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Extraits :
« Des cœurs battent dans la chambre de Lola Cam. Des cœurs de femmes mortes.
Le premier est de satin bleu, c’est celui de sa mère. Le plus douloureux. Elle n’y touche jamais.
Cinq cœurs palpitent sur une étagère.
Le deuxième, celui de sa grand-mère Rosa, est un pré de velours traversé par un bourrelet de fil rose, doux comme une cicatrice. Lola le sort parfois pour le caresser, lui répéter la même phrase : « Como el camino, asi de grande te quiero, Yaya Rosa! »
Des cœurs de tissu, gros des secrets des mères, hantent les nuits de Lola Cam.
Le troisième, le plus réussi, est une œuvre de taffetas rouge, de fils noirs, orange et bleus : un cœur nocturne en feu. »
« Elle se redresse en frissonnant et se tourne vers le mur du fond du jardin – ce mur très haut et très épais qui la sépare du cimetière. Elle regarde ses gants terreux et les trois rosiers de Damas qu’elle vient de planter. Elle les trouve, tout à coup, loin-tains, comme abandonnés, en rang d’oignons, dans une solitude à crever. Elle a pourtant pris soin de les grouper, ils fleuriront en massif. »
« Lola tente de se dégager du souffle qui la ligote, de retrouver la douceur de cette fin de journée, en se concentrant sur l’odeur d’humus de la forêt voisine. Un parfum puissant contre lequel l’eau de toilette de son père ne pouvait rien jadis.
Tiens, pourquoi songe-t-elle soudain à son père? Le souvenir de son eau de toilette, comme contenu dans le parfum des bois, prend peu à peu le dessus. »
« Un livre ? Et qu’est-ce que vous écrivez de beau ? Des romans d’amour? On adore les histoires à l’eau de rose! Est-ce que vous tuez vos personnages à la fin ?
— Est-ce que vous racontez des histoires vraies ? me demande alors la postière soudain moins indifférente.
J’avoue que ce qu’on écrit dans un roman est toujours un peu vrai.
— Un peu vrai ? Ça ne veut rien dire ! rétorque la receveuse. Les choses sont vraies ou elles ne le sont pas! »
« Vos fesses adorables sont la plus belle chose que j’aie vue depuis le début de cette guerre, continue-t-il en gardant la main de Lola dans la sienne. Avant tout ça, j’étais jardinier à Dinan, ça paraît fou, non ? Je veux dire qu’un gars qui a passé une vie tranquille à faire pousser des fleurs, un gars comme les autres, se retrouve à sabrer d’autres gars comme les autres sans même savoir ce qu’ils faisaient dans la vie avant de se mettre à taillader des gars comme lui. C’est comme s’attaquer à un miroir ! On s’en fiche maintenant de ce qu’on était avant, du temps où l’on n’imaginait pas qu’une telle folie pouvait nous tomber sur le coin de la gueule sans prévenir ni rien, oui, on s’en fiche et on en tue juste autant qu’on peut, des ennemis, qui nous ressemblent comme deux gouttes d’eau, on les tue en essayant de ne pas y passer soi-même ! »


Née en novembre 1966 à Créhange, Carole Martinez est romancière et professeure de français. Elle a notamment signé Le Cœur cousu (2007), auréolé de nombreux prix, et Du domaine des murmures, couronné par le Prix Goncourt des Lycéens en 2011. En 2015, elle publie La terre qui penche (Gallimard). Tentée par la littérature jeunesse – elle est l’auteure de Le Cri du livre, en 1998 – Carole Martinez se lance pour la première fois dans la bande dessinée en scénarisant Bouche d’ombre pour Maud Begon. Deux albums sont parus chez Casterman en 2014 et 2015.
Le Cœur cousu (2007)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/02/19/le-coeur-cousu/
La Terre qui penche (2017)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/08/10/la-terre-qui-penche/
Dors ton sommeil de brute (2024)
https://leressentidejeanpaul.com/2024/10/14/dors-ton-sommeil-de-brute/






























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