Amour, Émotion, Biographie, Histoire vraie

Indicible

de Elsa Morienval
Relié – 30 octobre 2025
Éditions : Le Pré du Plain

Ma mère cachait son alcoolisme, pensant que personne ne le voyait, comme un chat peut se cacher sous un meuble, alors que sa queue dépasse. C’était à la fois normal et tabou. La communication non verbale était la plus commune entre nous, comme un regard tacite qui signifiait qu’elle avait avalé plus que la moyenne. C’était un langage parfaitement codé qui s’était installé par la force des choses. Il fallait éviter d’en parler, surtout devant elle, pour ne pas la faire exploser de colère. Il ne fallait pas non plus que j’en parle à mon père, que je le verbalise. Cela paraissait absolument impossible, je le sentais. Nous nous contentions d’échanger par les yeux ou par des gestes discrets. C’était indicible… – Comment une fille de mère alcoolique peut-elle se construire dans l’insécurité et le chaos ?
Voici le thème abordé par Elsa Morienval, il s’agit de sa propre expérience, et elle conclut ainsi son témoignage : « Tout est surmontable, et la résilience n’est jamais loin. Je vous le garantis. »

Lorsque j’ai découvert Échappée en Ulster, un mot s’est immédiatement imposé à moi : authentique.
Puis est venu La Dame de Pa Co Ja, où Elsa Morienval tentait de comprendre l’énigme de sa grand-mère, Germaine, femme de silences, de blessures et de faux-semblants. À ce moment-là, je n’imaginais pas encore jusqu’où elle irait, ni ce qu’elle accepterait de nous livrer.

Avec Indicible, Elsa franchit un seuil.
Celui du non-dit absolu, de l’enfance meurtrie, de ce que l’on tait parfois toute une vie pour continuer à avancer.
J’ai compris très vite que cette lecture ne serait pas simple. J’ai même dû faire des pauses, reprendre mon souffle, tant certaines pages sont lourdes de douleur et d’incompréhension.

Ici, l’autrice se met à nu. Complètement.
Elle raconte une enfance qui n’aurait jamais dû exister, marquée par l’absence d’amour, par des comportements parentaux que l’on peine à concevoir, envers elle et ses deux sœurs. En refermant certains chapitres, je me suis souvent demandé comment des adultes peuvent infliger cela à leurs propres enfants.

Le texte est dur, bouleversant, mais jamais complaisant.
Elsa écrit avec pudeur, avec retenue, mais sans détour. Elle ne cherche ni à accuser ni à se justifier. Elle raconte. Elle expose. Elle libère.

Ce troisième volet est le prolongement logique et nécessaire des deux précédents. Après l’évasion, après l’exploration familiale, vient le temps de la vérité intime.
Indicible est un livre qui remue, qui fait écho, qui réveillé parfois certains de mes propres souvenirs enfouis.

Une lecture éprouvante, mais essentielle.
Un témoignage courageux et profondément humain.

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Extraits :

« J’ai rendez-vous avec le Dr Pomey-Rey à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Je suis enceinte de trois mois pendant lesquels j’ai vomi toute ma vie, toute mon énergie. Mon père dit toujours : “Une femme est heureuse quand elle est enceinte”. Eh bien, pas moi ! Je suis heureuse d’attendre un enfant, mais ma grossesse est un enfer. Mes nausées et mes vomissements me replongent dans les baffes qui me tombaient dessus chaque fois que je vomissais quand j’étais môme. Me revient aussi le bruit des vomissements quotidiens matinaux de ma mère, dans l’évier de la cuisine, à la suite de ses journées et nuits imprégnées de vin à bon marché. »

« Ce qui reste de mon enfance, c’est l’isolement, les cris, la haine, la solitude, la violence et… un peu d’humour quand même ! Je garde en mémoire ces bâtiments d’Aulnay-sous-Bois recouverts de fausse mosaïque bleue, gris-rose ou blanche ; ces cages à poules qui renferment des humains et qui dissimulent des histoires de famille insoupçonnées. Tous ces granas ensembles qui se ressemblent dans les banlieues. C’est dans CES quartiers que l’on concentre les masses humaines, dans CES immeubles collectifs que l’on amasse ces familles qu’on ne peut loger ailleurs. La définition du dictionnaire ajoute “composés d’une population défavorisée”. »

« Les gens pleurent dans les rues de la cité Ambourget et même au-delà. Je comprends qu’il s’est passé quelque chose de grave. Claude François vient de mourir électrocuté dans sa baignoire, le 11 mars 1978. Là, je ne comprends plus. comment peut-on pleurer pour un chanteur aussi nul, comme s’il était un membre de notre famille? Je trouve ces gens stupides. »

« Un dérèglement de la perception des douleurs a pris possession de mon corps. Un médecin m’a dit un jour : “Résilience ? oui, mais avec des cicatrices, sinon vous ne souffririez pas comme ça.” Une fibromyalgie a été diagnostiquée dans les années 2000, que je gère avec ce que je peux, mes béquilles de toujours : l’anglais et l’écriture. Je suis devenue mère, à mon tour, et espère avoir fait de mon mieux pour ne pas être “une mauvaise mère”. On n’atteint jamais la perfection en ce domaine, tous les parents le savent. On se reproche toujours quelque chose. J’ai réussi à créer une famille. »

Elsa Morienval est née en Seine Saint-Denis, angliciste de formation, intéressée par le monde anglophone, elle est enseignante.

Elle a écrit des nouvelles et a publié dans une revue littéraire.
Elle signe Échappée en Ulster chez Nombre7 en 2020
https://leressentidejeanpaul.com/2021/07/12/echappee-en-ulster/

et sa traduction en anglais My Ulster haven en 2022 chez le même éditeur.

La dame de Pa Co Ja
https://leressentidejeanpaul.com/2023/01/30/la-dame-de-pa-co-ja/

Amour, Émotion, Drame, Historique

Du domaine des murmures

de Carole Martinez
Poche – 10 février 2013
Éditions : Folio

En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui ». Contre la décision de son père, le seigneur du domaine des Murmures, elle s’offre à Dieu et exige de vivre emmurée jusqu’à sa mort. Elle ne se doute pas de ce qu’elle entraîne dans sa tombe, ni du voyage que sera sa réclusion… Loin de gagner la solitude, la voici bientôt témoin et actrice de son siècle, inspirant pèlerins et croisés jusqu’en Terre sainte.Aujourd’hui encore, son fantôme murmure son fabuleux destin à qui sait tendre l’oreille.Après Le coeur cousu, Carole Martinez nous offre un conte sensuel et cruel, encensé par la critique et les lecteurs. Elle y dessine l’inoubliable portrait d’une femme insoumise, vivant à la lisière du songe.

Lorsque j’ai ouvert Du domaine des murmures, je ne savais pas encore que Carole Martinez allait, une nouvelle fois, me saisir par la main pour m’entraîner là où je n’aurais jamais pensé aller.
Le XIIᵉ siècle, Dieu, la foi, une jeune mystique emmurée… tout cela, à première vue, aurait pu me rebuter.
Mais j’avais adoré Le cœur cousu, et j’ai choisi de lui faire confiance. J’ai bien fait.

Dès les premières pages, Esclarmonde m’a bouleversé. Cette jeune fille de quinze ans refuse le destin imposé aux femmes de son époque. Un mariage arrangé avec Lothaire, connu pour sa brutalité. Le jour des noces, elle dit non. Un non fou, un non courageux. Elle se coupe une oreille et demande à se consacrer à Dieu. Son père, furieux mais impuissant devant sa détermination, l’emmure dans une minuscule cellule attenante à la chapelle.
Ce qu’Esclarmonde ignore, c’est qu’elle n’entre pas seule dans ce tombeau de pierre…

Enfermée, elle devient pourtant plus libre que jamais.
Son corps est captif, mais son esprit voyage.
Elle suit les pèlerins sur les routes, accompagne son père parti en croisade, sent battre les vies de ceux qu’elle aime. À travers ce recoin d’ombre, c’est tout le Moyen Âge qui murmure, sa foi aveugle, sa brutalité, son ignorance, mais aussi ses élans d’amour, de miracle et de grâce.

Carole parvient à mêler la cruauté du réel à la douceur d’une poésie surnaturelle. Son écriture, fine et lumineuse, transforme chaque scène en vision. Elle fait surgir un monde où les légendes frôlent les pierres, où la voix des femmes, même enfermée derrière des murs épais, continue de traverser les siècles.

J’ai adoré l’originalité de l’histoire, la force de cette héroïne qui s’affirme envers et contre tous, et la manière dont l’autrice rend palpable l’époque sans jamais alourdir le récit. La fin m’a bouleversé.
Ce roman est doux et cruel, sensuel et mystique, d’une beauté rare.
Un livre qui laisse une trace durable, un bruissement dans le cœur.

Je le recommande à tous, mais surtout à celles et ceux qui aiment être emportés, déracinés, chavirés.
Une fois encore, Carole Martinez m’a ensorcelé.

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Extraits :

« On gagne le château des Murmures par le nord.
Il faut connaître le pays pour s’engager dans le chemin qui perce la forêt épaisse depuis le pré de la Dame Verte. Cette plaie entre les arbres, des générations d’hommes l’ont entretenue comme feu, coupant les branches à mesure qu’elles repoussaient, luttant sans cesse pour empêcher que la masse des bois ne se refermât. »

« Je suis Esclarmonde, la sacrifiée, la colombe, la chair offerte à Dieu, sa part.
J’étais belle, tu n’imagines pas, aussi belle qu’une fille peut l’être à quinze ans, si belle et si fine que mon père, ne se lassant pas de me contempler, ne parvenait pas à se décider à me céder à un autre. J’avais hérité de ma mère une lumière sur la peau qui n’était pas commune. Derrière mon visage d’albâtre et mes yeux trop clairs, une flamme semblait vaciller, insaisissable. »

« Lothaire venait souvent en visite aux Murmures pour faire sa cour à la recluse. Il écrivait désormais des poèmes qu’il me récitait à mi-voix, il apprenait même à chanter pour mieux charmer mon oreille.
Je ressentais beaucoup de pitié pour ce méchant garçon qui disait ne plus dormir par ma faute et me quémandait des sourires, comme s’il s’en nourrissait. »

« Durant ce siège d’Acre, famine et maladies se sont révélées bien plus meurtrières que les batailles, et j’ai frémi d’horreur le jour où celui dont je partageais le sang, le nom et le regard a dû, à quelques heures d’intervalle, fermer les yeux de Jean, son deuxième fils, et ceux de Frédéric de Souabe, emportés tous les deux par le même mal. J’ai vu ses doigts maigres se poser sur leurs paupières tièdes avec la même tendresse paternelle. Plus rien ne l’animait que cette tendresse, ce sentiment doux dont il n’avait jamais pris conscience avant cet écroulement final. Sans révolte, sans orgueil et sans force, absolument démuni de ce qu’il avait longtemps cru essentiel à un homme de sa trempe, mon père a compris que son sentiment dernier serait cette tendresse, qu’elle seule avait pu résister à cette horrible guerre qu’on disait sainte, qu’elle seule le tenait encore en vie, alors même qu’il avait passé la plus grande partie de son existence à l’ignorer ou à la combattre. »

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Née en novembre 1966 à Créhange, Carole Martinez est romancière et professeure de français. Elle a notamment signé Le Cœur cousu (2007), auréolé de nombreux prix, et Du domaine des murmures, couronné par le Prix Goncourt des Lycéens en 2011. En 2015, elle publie La terre qui penche (Gallimard). Tentée par la littérature jeunesse – elle est l’auteure de Le Cri du livre, en 1998 – Carole Martinez se lance pour la première fois dans la bande dessinée en scénarisant Bouche d’ombre pour Maud Begon. Deux albums sont parus chez Casterman en 2014 et 2015.

Le Cœur cousu (2007)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/02/19/le-coeur-cousu/

La Terre qui penche (2017)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/08/10/la-terre-qui-penche/

Les roses fauves (2022)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/10/13/les-roses-fauves/

Dors ton sommeil de brute (2024)
https://leressentidejeanpaul.com/2024/10/14/dors-ton-sommeil-de-brute/

Amour, Émotion, Histoire

Jerusalem 1099

Les étoiles d’Orion****
de Brice Nadin
Broché – 27 octobre 2025
Éditeur : Leo Éditions

Depuis Constantinople, en 1097, l’armée des barons chrétiens s’avance vers Jérusalem.
De la bataille de Nicée aux murailles d’Antioche, Joachim de Saint-Ange poursuit dans leur sillage une quête obstinée ― découvrir le sens caché de son voyage… et retrouver l’amour qu’il croyait perdu.
Sur les routes d’Orient, entre les intrigues des émirs et l’ombre de la secte des assassins, la présence énigmatique d’un jeune homme au cordon rouge semble guider ses pas. Vision ? Messager ?
À Antioche, il provoque une révélation qui change le cours de la croisade.
Jusqu’où Joachim devra-t-il aller pour accomplir ce qui semble écrit ? Jusqu’à Jérusalem, où se joue le destin des croisés, et à l’hospice Saint-Jean, où s’accomplit le sien ?
Après Cluny 1095, Mare Nostrum et L’Oracle de Constantinople, ce quatrième volume des Étoiles d’Orion entraîne le lecteur dans l’ultime assaut de la première croisade ― la prise de Jérusalem, en juillet 1099, tournant décisif de deux siècles de présence latine en Terre sainte.

Décidément, le hasard n’existe pas.

Fin 2021, Isabelle, la cousine de ma femme, a posé entre mes mains un de ses livres. Les étoiles d’Orion – Cluny, 1095, de Brice Nadin.
J’ai ouvert la première page… et très vite quelque chose s’est passé.
Une voix. Une force. Un souffle ancien.
J’ai lu le roman d’une traite, comme si quelqu’un marchait à mes côtés, me murmurant à l’oreille.

Puis j’ai découvert le deuxième tome. Et là encore, ce même tremblement intime, cette écriture érudite mais limpide, cette manière qu’a Brice de tenir la main du lecteur tout en l’entraînant dans les zones d’ombre de notre passé. Il aime les mots, ça se sent. Il aime la vie, ça se devine.
Même lorsqu’il parle de haine, de croisades, de blessures anciennes qui n’ont jamais vraiment cicatrisé.

Ses personnages, mi-fils de l’Histoire, mi-enfants de l’imaginaire, m’ont mené très loin, dans un lieu où le réel et le surnaturel se frôlent, s’enlacent, s’oublient.
Un endroit où la paix et l’amour deviennent soudain plausibles.
Où les femmes occupent la place qu’elles n’auraient jamais dû perdre.
Et je me suis surpris à penser : Et s’il avait raison ?

Puis j’ai appris que Brice vivait à Saint-Leu-la-Forêt, tout près de chez moi.
Les routes se croisent parfois comme les destins dans ses romans.
Je l’ai contacté. Nous nous sommes rencontrés. Depuis, nos échanges sont devenus ces petits instants suspendus où l’on parle de ce qui nous touche, de ce qui nous construit, de ce qui nous brûle encore.

Aujourd’hui, Jerusalem 1099 vient refermer une tétralogie splendide, et je pèse mes mots.
Je quitte Joachim, Alix, et tous les autres avec un pincement au cœur, comme on quitte des compagnons de route après un long voyage.
Une fois encore, Brice m’a fait vibrer, m’a mis en colère, m’a serré les dents, mais toujours avec ce scintillement discret qui traverse son œuvre, une étincelle d’humanité, fragile mais tenace.

Tout se joue dans Jérusalem, cette ville que je rêve de fouler depuis des années.
Une ville où les prières se heurtent, où les croyances s’entrechoquent, où la lumière survit malgré tout.
Il en restitue les tensions, les fièvres, les lueurs, avec une vérité qui fait frissonner.

Brice est devenu pour moi un auteur essentiel, incontournable.
Et quand il m’a demandé de travailler avec lui sur la couverture de ce dernier tome… comment dire ?
J’ai Ressenti comme une petite lumière dans ma tête… et j’ai souri. Comment ne pas y voir un signe ?
Non, le hasard n’existe pas.

Je vous invite à plonger dans son univers, là où les grandes idées, paix, amour, partage, tiennent tête à la brutalité sans concession de l’Histoire.
Ces idées qui nous rassemblent encore aujourd’hui.

Merci, Brice, pour tes mots, pour ta présence, pour ce que tu nous offres.

Et maintenant, j’attends avec impatience ton prochain voyage littéraire, aux côtés de Mathilde de Toscane, Marie d’Alanie, Anne Comnène, Hildegarde von Bingen… et toutes ces femmes qui ont éclairé l’Histoire. Je sais d’avance que tu emporteras mon cœur…

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Extraits :

« Depuis l’une des innombrables fenêtres du palais impérial, j’aperçus un instant les flots de la mer de Marmara, puis revins vers les bancs où mes élèves, tête penchée, plume grattant, s’appliquaient. Enfin, je me tournai de nouveau vers Anne. Elle ne posait jamais une question sans avoir déjà rassemblé ses pièces. Je songeai aux audiences récentes : l’empereur avait tout orchestré pour impressionner les chefs chrétiens, les envelopper de faste et les contraindre par serment à lui restituer leurs conquêtes. »

« Une question, toute simple et lourde comme une ancre, me traversa : mes frères de Cluny étaient-ils à bord ? Aldebert, Moïse… L’un, grand et blond, armarius venu de Bourgogne, fin diplomate et représentant l’abbé Hugues. L’autre, moine de l’Église d’Antioche, réfugié depuis la chute de sa cité, avait jadis suivi notre maître Odon de Beaulieu jusqu’en Occident. Il parlait syriaque et arabe. J’avais poussé à leurs côtés, et leur absence m’avait pesé plus que je ne voulais me l’avouer.
Je demeurai un instant immobile, à écouter les cris du port, le claquement des rames, les goélands qui tournaient à hauteur d’homme. Puis je pris mon souffle et me lançai dans l’escalier, comme si la réponse m’attendait déjà sur le quai, et qu’il ne restait plus qu’à la rejoindre. »

« Je sentis Aldebert s’arrêter net à ma gauche. Face à de jeunes nymphes aux seins nus, un trouble passager assombrit son regard.
Il détourna ostensiblement les yeux. Sa gêne était palpable, presque douloureuse. Je le comprenais. Moi aussi, lors de ma première visite, ces corps dévoilés m’avaient déstabilisé. J’y voyais maintenant des témoins d’un autre monde où le nu n’était pas offense, mais langage. Leurs formes figées n’invitaient pas à la luxure, mais à l’idéal. Ici, la pierre parlait un autre alphabet que celui de nos églises aux saints ascétiques : un art évoquant les anciens dieux, la mythologie et le dépassement de soi. »

« Il se tut. Puis me demanda, presque à voix basse :
– Avec toutes ces similitudes… pourquoi y a-t-il tant d’incompréhension entre chrétiens et musulmans ?
– Peut-être, répondis-je, parce qu’on a peur de ce qu’on ne connaît pas. »

Brice Nadin est né en 1967 à Saint-Germain-en-Laye. Il vit aujourd’hui en région parisienne où il se consacre à l’écriture. Consultant en nouvelles technologies, entrepreneur et père de trois enfants, il a eu d’autres vies avant de devenir romancier.

Passionné d’histoire et d’ésotérisme, en 2019, il publie son premier ouvrage, Les étoiles d’Orion, Cluny 1095, en auto-édition. Porté par une atmosphère médiévale fidèlement reconstituée, matinée d’un peu de surnaturel, le roman séduit plus de 4 000 lecteurs et se classe plusieurs fois en tête des ventes de romans historiques sur la boutique Kindle. Il est aussi « coup de cœur » dans de nombreuses librairies telles que La Procure ou Lamartine à Paris.

Les étoiles d’Orion* – Cluny, 1095
https://leressentidejeanpaul.com/2022/01/30/les-etoiles-dorion/

Les étoiles d’Orion** – Mare Nostrum, 1096
https://leressentidejeanpaul.com/2022/03/11/mare-nostrum/

Les étoiles d’Orion*** – L’Oracle de Constantinople
https://leressentidejeanpaul.com/2024/04/01/loracle-de-constantinople/

Amour, Émotion, Philosophique

Terre de lumières***

de Joëlle Giraud-Buttez
Broché – 1 novembre 2025
Éditeur : Thot Éditions

Entre Paris et Levanto, Julia se cherche, se découvre, avance doucement dans les traces de ses ancêtres. Après avoir confié le grimoire familial à son impulsif ami parisien, elle reprend le chemin de l’Italie. L’ultime étape de sa quête l’y attend, la levée d’excommunication concernant sa grand-mère. Confrontée à la vraie nature de Fabien ainsi qu’à l’ampleur inattendue de sa mission, elle se verra une fois encore malmenée et ébranlée dans ses convictions, ses repères et ses acquis.
Parviendra-t-elle à libérer l’ensemble des femmes de sa lignée, prisonnières de l’injustice ? Arrivera-t-elle à les mener vers la lumière, à prendre la place qui est la sienne ?

Dans ce dernier volet de cette surprenante trilogie, Joëlle Giraud-Buttez emmène, tout en délicatesse, le lecteur aux confins de l’infini.

À travers Le Réveil des mémoires, L’Arche du passé et maintenant Terre de lumières, qui vient clore cette magnifique trilogie, Joëlle Giraud-Buttez m’a entraîné avec une virtuosité rare dans une saga envoûtante. J’y ai suivi, au fil des pages, une histoire familiale complexe qui traverse les siècles, dévoilant progressivement une réalité imperceptible, à la frontière du tangible et des croyances anciennes. Et dans cet entre-deux fascinant, j’ai vu Julia, l’héroïne, devoir affronter l’étrange héritage de sa lignée. Soutenue par Fabien, Camille, Flavio et son grand-père, elle avance envers et contre tout pour découvrir la vérité sur ses ancêtres, et notamment sur sa grand-mère injustement accusée de sorcellerie.

J’attendais cette suite depuis des années, sans même savoir si elle verrait le jour, mais je l’espérais de toutes mes forces… Et la magie a opéré.
Joëlle est, pour moi, une véritable magicienne. Elle puise son inspiration dans la simplicité des rencontres humaines et écrit des romans dont je redoute toujours la dernière page, tant j’aimerais que l’histoire continue encore et encore… À chaque chapitre, à chaque nouvelle page, elle crée un rebondissement, un souffle nouveau soutenu par les valeurs du cœur, l’amour, la filiation, la force des femmes.
Comment ne pas être bouleversé ?

Entre passé et présent, chaque tome m’a offert un voyage unique. Et dans ce troisième volet, le récit est tout simplement sublime.
L’écriture est d’une grande finesse. J’ai senti que chaque mot avait été soigneusement choisi, parfaitement placé. Joëlle m’a transporté dans un monde tantôt magique, tantôt historique, mais toujours traversé d’émotion.

La fin, quant à elle, est d’une beauté rare.
Une conclusion lumineuse, profondément émouvante. J’ai pleuré, pas de tristesse, mais d’un bonheur immense. Ce roman m’a touché au plus intime. C’est beau, tellement beau… et cela fait tellement de bien.

Un énorme coup de cœur pour le roman, bien sûr, mais aussi pour l’auteure, qui transmet avec franchise et douceur des messages de paix, de bienveillance et d’ouverture d’esprit dont beaucoup devraient s’inspirer.

Et dire que sans mon amie Yolande Legras, je serais passé à côté…

Terre de lumières est une histoire prenante, d’une beauté simple et profonde, qui mérite de toucher le cœur de nombreuses personnes.
À lire absolument !

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Extraits :

« Comment avait-elle pu se montrer à ce point aveugle, ne rien avoir vu venir, offrant ainsi, en toute légèreté, son chat aux affres de l’angoisse? Pauvre bête, assignée depuis la nuit des temps au rang de vigile énergétique! Éponge volontaire ou involontaire, elle hésitait encore entre les deux. Quoi qu’il en soit, un vrai baromètre sur pattes à la douloureuse fonction d’absorber tous les éléments résiduels malintentionnés flottant dans l’atmosphère. »

« Quoi qu’il en soit, il était de retour. Après un examen draconien, il regagna nonchalamment son rocking-chair. Le nez entre les pattes, les yeux mi-clos, il réintégra ce qui semblait un délice : la mémoire océanique de son ancienne vie fœtale. Le bonheur à l’état pur. Le jour et la nuit. Qu’avait-il vécu exactement, lui seul le savait. Le mystère resterait entier. Honnêtement, elle en resterait là. Quant à la sensibilité particulière des chats en présence de l’invisible, le fait, bien qu’inexplicable, était reconnu et validé dans l’univers du supra-sensible.
N’en déplaise aux détracteurs en tous genres. Après s’être renseignée sur le sujet, elle découvrit que certains animaux plus que d’autres percevaient, absorbaient, voyaient au-delà du ressenti humain. Un invisible qu’elle n’était pas encore en mesure d’appréhender dans son intégralité, encore trop novice en la matière. »

« Tout commença le jour où Julia lui fie part d’étranges malaises, d’intuitions spontanées, de rêves de plus en plus types, voire prémonitoires, Des pressentiments qui, pour l’avoir constaté, dépassaient le virtuel pour la matérialisation. Julia savait sans pouvoir se l’expliquer, Tant d’éléments déroutants, elle devait l’admettre. Troubles de la personnalité, suractivée émotionnelle féminine, d’où la distanciation relationnelle et la difficulté de la patiente à s’inscrire dans l’équilibre normé de la société, auraient diagnostiqué ses confrères. »

« L’ère technologique et scientifique des siècles derniers avait malheureusement modifié la relation de l’homme à son environnement. Certains allèrent jusqu’à reléguer toute pratique de soin en lien avec la nature au rang de charlatanisme. D’autres réussirent, en dépit de la pression exercée, à garder et à entretenir le lien avec celle qu’ils vénéraient et respectaient, Terre Mère. »

Joëlle Giraud-Buttez est une auteure discrète et spontanée qui affectionne la simplicité des rencontres humaines comme les voyages aux quatre coins du monde. Après des années de travail en milieu hospitalier, elle a désormais un regard plus holistique sur la santé et, au travers des soins énergétiques qu’elle dispense quotidiennement, elle considère chaque personne dans sa globalité. Au fil de ses romans, Joëlle Giraud-Buttez nous entraîne dans un univers hors des sentiers battus, un monde aux multiples facettes.

Le Réveil des mémoires
https://leressentidejeanpaul.com/2019/11/27/le-reveil-des-memoires/

L’arche du passé
https://leressentidejeanpaul.com/2019/12/04/larche-du-passe/

Adolescence, Amour, Émotion, Drame, Humour, Psychologie

Les flammes de l’autre rive

de Lucie Delacroix
Broché – 3 octobre 2025
Éditeur : Auto-édition

Et si la vérité vous attendait de l’autre côté de l’océan ?

Laura s’envole pour le Québec afin d’animer une colonie de vacances, le cœur lourd et les nerfs à vif. Chez elle, ses parents lui dissimulent un secret. Mais à peine arrivée sur le sol canadien, un courrier inattendu bouleverse ses repères : une lettre signée d’une personne liée à cette vérité qu’elle cherche depuis des mois.

Portée par les veillées au coin du feu, les confidences nocturnes et la complicité naissante entre les animateurs, Laura s’engage dans une quête aussi intime que lointaine. À travers les paysages grandioses de la Belle Province, c’est tout un pan de son histoire qui se révèle — et peut-être, au détour d’un regard ou d’une chanson, une rencontre qui changera tout.

Un roman lumineux sur la quête de soi, les secrets de famille
et l’amour qui naît là où on ne l’attend pas.

Dès les premières pages, j’ai été porté par la plume de Lucie Delacroix et par l’histoire de Laura. Entre les paysages grandioses, les expressions savoureuses et les soirées autour du feu de camp, je me suis laissé happer par ce roman vibrant d’émotions. On y parle d’amitié, de solitude, d’addiction, mais surtout de la quête des origines, ces racines invisibles qui nous façonnent et nous appellent, même à des milliers de kilomètres.

Laura est une jeune femme en colère, blessée par les secrets et les silences qui ont fissuré son enfance. Un jour, elle décide de tout quitter pour partir au Québec avec sa meilleure amie. Là-bas, au milieu des lacs et des forêts, elle espère souffler, se retrouver… Mais le destin lui réserve bien plus qu’une simple parenthèse. Une mystérieuse lettre déposée sur son oreiller dès son arrivée va tout bouleverser.
Qui lui écrit ? Et surtout, pourquoi maintenant ?

J’ai suivi Laura dans ce voyage initiatique avec le cœur serré. Elle découvre l’amitié sincère, l’amour naissant, la bienveillance d’une équipe d’animateurs, et cette nature généreuse qui soigne mieux que bien des mots. J’ai aimé ces moments simples, la musique des Cowboys Fringants, le sirop d’érable, les accents à travers les expressions québécoises… toute une atmosphère qui sent bon la vie.

Lucie a cette faculté de faire vibrer chaque émotion. Sa plume, fluide et sensible, capte le moindre frémissement d’un regard ou d’un silence. On rit, on espère, on pleure aussi. Car ce roman est une véritable montagne russe émotionnelle. On s’y brûle, mais il réchauffe aussi, car l faut savoir pardonner.
Et derrière l’histoire de Laura, il y a un message fort. Parfois, pour avancer, il faut accepter de regarder la vérité en face, même si elle fait mal.

La fin m’a bouleversé, tout simplement.
J’ai refermé le livre le cœur serré, mais le sourire aux lèvres. Les flammes de l’autre rive est un roman qui touche l’âme, c’est une ode à la résilience, à l’amour et à la vie sous toutes ses formes.

Et comme un joli clin d’œil, je remercie Lucie aussi pour la bande-son de ma lecture et plus encore, depuis, les Cowboys Fringants m’accompagnent à chaque promenade en promenant mon chien, j’adore !
Pas après pas, j’ai la banane !!!
Une très belle découverte…

Ce roman m’a touché bien au-delà des mots… il m’a fait du bien.

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Extraits :

« “Toute l’équipe d’Air Canada vous souhaite une excellente année ! Qu’elle vous apporte une belle blonde ou un bon chum et une belle job’. Enjoy !”
Alors que s’entrechoquent les coupes de champagne offertes par la compagnie aérienne, Florence déambule dans les allées les bras chargés de bouteilles vides. Elle se nourrit des sourires qui éclairent les visages des passagers. L’ambiance qui règne dans l’avion est presque magique. Français, Canadiens et autres nationalités trinquent et rient de bon cœur, se souhaitant le meilleur pour cette nouvelle année à venir. »

« Blessée par leur attitude, mais aussi infiniment triste que leur soutien sans faille ait finalement des limites. J’aurais aimé que ma mère soit là ce soir, qu’elle me prenne la main et me raconte enfin tout ce que je cherche depuis des mois. Tout ce qu’elle n’a jamais voulu me dire. »

« Mes parents sont passionnés par votre pays, je commence, y compris de ses chanteurs. Maman ne loupe pas une occasion de nous faire écouter ses CD rapportés de leurs divers voyages ici. L’autoradio de sa voiture ne doit pas savoir jouer autre chose, d’ailleurs. Mon enfance a été bercée par les titres de Lynda Lemay. »

« À la nuit tombée, la foule s’agglutine devant la scène dès la fin du concert précédent. Le groupe suivant semble très attendu et c’est également pour eux que nous sommes venus. Johan trépigne d’impatience. Il nous fraie un chemin sur le côté afin de parvenir à deux rangs des barrières, au pied du décor. Ainsi, nous serons aux premières loges pour admirer ces artistes québécois.
Dès que les quatre pionniers du groupe débarquent sur scène, les festivaliers sont en transe. Ils sont accueillis par un tonnerre d’applaudissements, la foule crie leurs noms un à un. Je reconnais les premières notes, qui débutent un spectacle grandiose. Les titres s’enchaînent et la connexion avec le public est extraordinaire. Les chansons engagées se succèdent, défendant avec ferveur des valeurs fortes, telles que la solidarité et l’environnement. »

Bretonne de 34 ans, Lucie Delacroix est mariée et maman de trois jeunes enfants. Salariée, elle consacre son temps libre à la lecture et l’écriture. Elle aime les « page-turner », ces romans qu’on ne peut plus refermer sans en connaître le dénouement. Naturellement, elle en écrit aussi, passionnée d’écriture depuis son plus jeune âge.

Plongez dans ses romans, des histoires pleines de rebondissements avec un soupçon de romance.

Les flammes de l’autre rive, fait partie des finalistes du Grand Prix Romanesque 2025 !

Amour, Émotion, Drame, Folie, Thriller psychologique

Point de fuite

Estelle Tharreau
Broché – 6 novembre 2025
Éditions : Taurnada Éditions

Alors qu’une tempête se déchaîne, un criminel tente d’échapper à la police et à son complice. Une réceptionniste dépose une étrange valise dans une chambre d’hôtel où un petit garçon est enfermé. Une femme guette l’arrivée du père de son enfant, et un steward désespéré attend d’embarquer pour un vol ultime.
Tous approchent du point de non-retour qui fera basculer leur existence.

Un huis clos labyrinthique où l’amour et la mort se livrent une course-poursuite infernale dans les entrailles d’un aéroport pris dans un déluge de neige et de glace.

J’ai retrouvé avec un immense plaisir la plume d’Estelle Tharreau dans son dernier roman, Point de fuite. À chaque nouveau livre, elle me surprend, m’emmène ailleurs, me bouscule un peu plus. Ici, elle m’a emmené dans un huis clos comme je les aime. Glacé, tendu et terriblement humain.

Dès les premières pages, la tempête fait rage. Petit à petit les acteurs du roman approchent d’un point de non-retour, celui qui fait basculer une vie. L’aéroport devient alors bien plus qu’un simple décor. Sous la plume d’Estelle, il se transforme en monstre d’acier et de verre, une sorte de labyrinthe oppressant où la neige et la peur se mêlent, puis finalement en prison. J’ai adoré cette sensation d’étouffement, ce froid qui s’infiltre jusque dans les pages. On ressent chaque vibration, chaque silence.

J’ai lu ce roman, il y a quelques jours, un soir de grand vent, bien au chaud dans mon lit, et je me suis laissé happer par cette atmosphère glaciale. Je voyais presque les flocons tourbillonner derrière les vitres, j’entendais le grondement des avions. Et cette femme avec sa poussette dans l’aéroport… elle m’a bouleversé.

Ce que j’aime chez Estelle, c’est sa capacité à sonder l’âme humaine, à explorer les failles de chacun. Ses personnages sont toujours sur le fil, entre la peur et le courage, entre la fuite et la rédemption. Ici, ils se débattent dans la tempête, pris dans un engrenage implacable où chaque décision compte.

Le suspense est constant, la tension monte à chaque chapitre, et l’auteure maîtrise son intrigue d’une main de fer. Tout est millimétré, pensé, calibré pour que le lecteur ne puisse plus lâcher prise. C’est un thriller court, mais d’une intensité rare, où l’émotion et la peur se sont livrés une véritable bataille, même dans ma tête…

Point de fuite est un roman noir, nerveux, mais profondément humain.
Il questionne sur la survie, l’amour, la culpabilité, et ce qu’on est prêt à faire pour s’en sortir.
Elle prouve définitivement pour moi qu’elle n’a pas son pareil pour explorer toutes les zones d’ombre de l’âme humaine.

Un grand merci à Joël des Éditions Taurnada pour cette lecture qui m’a glacé le sang autant qu’elle m’a captivé

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Extraits :

« Comme une flèche étincelante tirée dans la nuit, la navette était propulsée à travers les tunnels ralliant l’aéroport. Lors de son déplacement, son souffle puissant s’accompagnait d’un grincement pénible. Le tumulte extérieur des wagons tranchait avec l’inertie intérieure dans laquelle les passagers étaient plongés. »

« Avant de pénétrer dans son gigantesque hangar, le responsable technique, au gilet orange à bandes réfléchissantes, ne put s’empêcher de contempler le ciel. Il savait que les dieux de la tour de contrôle auraient besoin de lui si le monstre météorologique ne déviait pas sa trajectoire et venait s’abattre sur l’aéroport. »

« Dans les halls de l’aérogare, dans les salles réservées au personnel navigant ou d’escale, à la réception, des hôtels, tout individu portant un uniforme s’affairait avec une sérénité étonnante. Dans ces lieux stratégiques, l’alerte avait également été transmise. Tout devait être prêt pour parer l’impact des bourrasques, des congères, du gel, mais surtout, des avions cloués au sol et de la déferlante de voyageurs harassés, anxieux, perdus, furieux qui constituerait, pour tous ces agents, une réplique tellurique de la secousse provoquée par la tempête. Malgré leur propre fatigue et inquiétude, c’est avec calme et diplomatie qu’ils devraient gérer cette submersion humaine. »

« Attends-moi le 13 décembre au terminal C. Je serai sur le vol ALB423. Je t’envoie ce billet pour que nous partions ensemble en espérant que le cessez-le-feu se poursuive et que les négociations de paix aboutissent. Si ce n’est pas le cas, je ne peux t’offrir qu’un pays en guerre, que je n’abandonnerai pas. Si tu ne souhaites pas courir ce risque, dis-le-moi par courrier. C’est le seul moyen de communication encore à peu près fiable. Je t’en prie, fais vite que je sache si je dois venir vous récupérer ou non. Si tu maintiens ta décision de me suivre, prépare-toi à tout quitter, à tout perdre jusqu’à la vie ou celle du bébé. »

Passionnée de littérature depuis l’adolescence, Estelle Tharreau parcourt les genres, les époques et les pays au fil des auteurs qu’elle rencontre. De cet amour de la littérature est née l’envie d’écrire. Elle vit actuellement en Franche-Comté où elle partage son temps entre sa famille et l’écriture.

La peine du Bourreau
https://leressentidejeanpaul.com/2020/10/01/la-peine-du-bourreau/

Les Eaux noires
https://leressentidejeanpaul.com/2021/10/05/les-eaux-noires/

Digital Way of Life
https://leressentidejeanpaul.com/2022/06/14/digital-way-of-life/

Il était une fois la guerre
https://leressentidejeanpaul.com/2022/11/01/il-etait-une-fois-la-guerre/

Le Dernier festin des vaincus
https://leressentidejeanpaul.com/2023/11/01/le-dernier-festin-des-vaincus/

L’Alpha & l’Oméga
https://leressentidejeanpaul.com/2024/11/07/lalpha-lomega/

Amour, Émotion, Conte, Poésie

Les roses fauves

de Carole Martinez
Poche – 10 février 2022
Éditions : Folio

« Alors que les roses s’attardent, énormes dans la lumière rasante, le doute la saisit pour la première fois. Et si, à force de se dire heureuse, elle était passée à côté du bonheur… » D’origine andalouse, Lola mène en Bretagne une vie solitaire et sans éclat. Dans sa chambre, face au lit où elle s’interdit de rêver, trône une armoire pleine de coeurs en tissus. Ils renferment les secrets rédigés par ses aïeules avant de mourir. Cette vieille coutume espagnole défend cependant à l’héritière de les ouvrir. Jusqu’au jour où l’un des cœurs se déchire…

J’adore cet univers, entre rêves et réalité !

Il y a des romans qui ne se lisent pas, ils se respirent. Les Roses fauves de Carole Martinez en fait partie. Dès les premières pages, j’ai eu la sensation d’entrer dans un conte, d’être happé par des mots magiques, par une langue charnue, mélodieuse, habitée d’images et de parfums. L’écriture de Carole m’a une nouvelle fois enveloppé, à la fois douce et âpre, comme un pétale traversé d’épines.

Je me suis laissé guider jusqu’en Bretagne, là où une écrivaine en quête d’inspiration rencontre Lola Cam, une modeste postière au cœur vacillant, héritière d’une lignée de femmes mi-espagnoles, mi-bretonnes. Dans son armoire sommeillent cinq cœurs cousus, chargés de secrets, de douleurs, de destins féminins. Un seul s’est ouvert, celui d’Inès Dolores, et avec lui s’est libéré un souffle, un parfum, une mémoire.

Page après page, plusieurs vies s’entrelacent, celle de Lola bien sûr, mais aussi celle d’Inès, et celle de l’auteure elle-même qui se glisse dans le récit, brouillant les frontières entre la réalité et la fiction. J’ai adoré ce vertige, cette impression de ne plus savoir où j’étais, où commençait l’histoire, et où elle finissait. Petit à petits les cœurs s’ouvrent, les fleurs naissent, et le fantastique s’invite discrètement, comme une brume qui s’accroche aux mots.

Carole a ce talent rare et immense de faire éclore la poésie dans la souffrance et la beauté. Ses femmes sont toujours aussi fières, mais aussi blessées et parfois envoûtantes. Chacune porte en elle un monde, une lignée ou un secret.
Et ce parfum de roses fauves semble tantôt promesse d’amour, tantôt présage de mort. N’essayez surtout pas d’anticiper les pages. Laissez-vous porter dans un monde entre rêve et réalité… et ses passages réguliers en italiques…

Je me suis laissé bercer, égarer, puis bouleverser.
Au final, j’ai refermé le livre, une fois encore, le cœur plein d’émotions, ivre de mots, de senteurs et de songes.

Carole m’a de nouveau ensorcelé entre magie et poésie. Ses Roses fauves m’ont piqué l’âme, mais que c’est bon…

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Extraits :

« Des cœurs battent dans la chambre de Lola Cam. Des cœurs de femmes mortes.
Le premier est de satin bleu, c’est celui de sa mère. Le plus douloureux. Elle n’y touche jamais.
Cinq cœurs palpitent sur une étagère.
Le deuxième, celui de sa grand-mère Rosa, est un pré de velours traversé par un bourrelet de fil rose, doux comme une cicatrice. Lola le sort parfois pour le caresser, lui répéter la même phrase : « Como el camino, asi de grande te quiero, Yaya Rosa! »
Des cœurs de tissu, gros des secrets des mères, hantent les nuits de Lola Cam.
Le troisième, le plus réussi, est une œuvre de taffetas rouge, de fils noirs, orange et bleus : un cœur nocturne en feu. »

« Elle se redresse en frissonnant et se tourne vers le mur du fond du jardin – ce mur très haut et très épais qui la sépare du cimetière. Elle regarde ses gants terreux et les trois rosiers de Damas qu’elle vient de planter. Elle les trouve, tout à coup, loin-tains, comme abandonnés, en rang d’oignons, dans une solitude à crever. Elle a pourtant pris soin de les grouper, ils fleuriront en massif. »

« Lola tente de se dégager du souffle qui la ligote, de retrouver la douceur de cette fin de journée, en se concentrant sur l’odeur d’humus de la forêt voisine. Un parfum puissant contre lequel l’eau de toilette de son père ne pouvait rien jadis.
Tiens, pourquoi songe-t-elle soudain à son père? Le souvenir de son eau de toilette, comme contenu dans le parfum des bois, prend peu à peu le dessus. »

« Un livre ? Et qu’est-ce que vous écrivez de beau ? Des romans d’amour? On adore les histoires à l’eau de rose! Est-ce que vous tuez vos personnages à la fin ?
— Est-ce que vous racontez des histoires vraies ? me demande alors la postière soudain moins indifférente.
J’avoue que ce qu’on écrit dans un roman est toujours un peu vrai.
— Un peu vrai ? Ça ne veut rien dire ! rétorque la receveuse. Les choses sont vraies ou elles ne le sont pas! »

« Vos fesses adorables sont la plus belle chose que j’aie vue depuis le début de cette guerre, continue-t-il en gardant la main de Lola dans la sienne. Avant tout ça, j’étais jardinier à Dinan, ça paraît fou, non ? Je veux dire qu’un gars qui a passé une vie tranquille à faire pousser des fleurs, un gars comme les autres, se retrouve à sabrer d’autres gars comme les autres sans même savoir ce qu’ils faisaient dans la vie avant de se mettre à taillader des gars comme lui. C’est comme s’attaquer à un miroir ! On s’en fiche maintenant de ce qu’on était avant, du temps où l’on n’imaginait pas qu’une telle folie pouvait nous tomber sur le coin de la gueule sans prévenir ni rien, oui, on s’en fiche et on en tue juste autant qu’on peut, des ennemis, qui nous ressemblent comme deux gouttes d’eau, on les tue en essayant de ne pas y passer soi-même ! »

Née en novembre 1966 à Créhange, Carole Martinez est romancière et professeure de français. Elle a notamment signé Le Cœur cousu (2007), auréolé de nombreux prix, et Du domaine des murmures, couronné par le Prix Goncourt des Lycéens en 2011. En 2015, elle publie La terre qui penche (Gallimard). Tentée par la littérature jeunesse – elle est l’auteure de Le Cri du livre, en 1998 – Carole Martinez se lance pour la première fois dans la bande dessinée en scénarisant Bouche d’ombre pour Maud Begon. Deux albums sont parus chez Casterman en 2014 et 2015.

Le Cœur cousu (2007)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/02/19/le-coeur-cousu/

La Terre qui penche (2017)
https://leressentidejeanpaul.com/2025/08/10/la-terre-qui-penche/

Dors ton sommeil de brute (2024)
https://leressentidejeanpaul.com/2024/10/14/dors-ton-sommeil-de-brute/

Amour, Émotion, Suspense

J’aimerais te dire

de Christian Pernoud
Broché – 9 octobre 2025
Éditeur : Taurnada Édition

Il y a toi… il y a elle… il y a nous…
Quand Thomas emmène sa fille, April, camper au lac Sebago, Angela, son ex-femme, pense qu’il veut simplement lui offrir un dernier moment d’insouciance avant son hospitalisation. Elle regarde son enfant partir sans imaginer une seule seconde que ce voyage va tout changer… et la hantera à jamais.
Faux-semblants, secrets de famille… l’histoire n’est pas toujours celle que l’on croit.

Un père et sa fille. Une odyssée bouleversante.

Il y a des lectures qui nous happent dès les premières pages, des histoires qui semblent venir chuchoter à l’oreille quelque chose d’essentiel. J’aimerais te dire, le nouveau roman de Christian Pernoud, que beaucoup connaissent sous le pseudonyme de Chris Loseus,en fait partie. Depuis Pour nous, l’auteur a choisi de tomber le masque, d’abandonner sa “cape d’invisibilité” pour se dévoiler davantage. Et quel dévoilement…

Thomas souhaite offrir à sa fille April quelques jours d’évasion avant son opération. Juste eux deux, loin de tout, pour respirer, pour parler, pour se dire ce qu’on ne se dit jamais assez. Le lac Sebago sera leur refuge. Sur la route, Thomas lui racontera son histoire, celle d’Angela, la mère d’April, et les drames qui ont façonné leur famille. Angela, elle, ne comprend pas vraiment ce départ soudain. Elle accepte, sans savoir que tout va lui échapper. Car ce voyage ne sera pas un simple aller-retour.

Quelques jours plus tard, Thomas et April disparaissent.
Alors tout remonte, le souvenir d’un jeune chercheur brillant, presque sur le point de découvrir un remède contre le cancer, avant que tout ne s’écroule. Une erreur, un protocole bafoué, et la chute. Que cherche Thomas aujourd’hui ? À réparer, à transmettre, à sauver ? Quel lien relie son passé de chercheur à ce voyage sans retour ?

Christian déroule avec une justesse rare les fils d’une vie, entre secrets enfouis, culpabilité et amour paternel. J’ai aimé cette construction en spirale, les confidences sur la route, la rencontre d’April avec Charlotte, l’arrivée chez Miguel… Chaque chapitre éclaire un peu plus le mystère, jusqu’à la révélation finale.

C’est le troisième roman de l’auteur que je lis, et à nouveau, je me suis laissé happer. J’ai beaucoup aimé sa manière d’aborder le passé sans alourdir le récit de flashbacks. Tout est fluide, incarné, vibrant. J’ai tourné les pages sans m’arrêter, jusqu’à la dernière ligne, en quelques heures à peine… l’émotion au bord des yeux. Et puis ce final… quel souffle, quelle émotion !

J’aimerais te dire est un roman de suspense. Mais c’est surtout une histoire d’amour, de résilience et d’espérance. Une ode aux liens entre un père et sa fille, une lecture intense, bouleversante et profondément humaine.
Bravo Christian, et merci à Joël des éditions Taurnada pour cette nouvelle pépite… Chaque roman édité est décidément une marche de plus vers le sommet d’une montagne de talents !

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Extraits :

« Mon plan débutait par un mensonge. Pas une petite cachotterie sans incidence qu’Angela et April me reprocheraient gentiment plus tard, mais par une tromperie qui modifierait dramatiquement le cours de nos vies. »

« Quoi ? s’enquit April. Qu’est-ce que tu avais fait ?
– Le feu dans lequel nous avions balancé les mégots empestait l’herbe, et crois-moi, les flics s’en foutaient.
Ils étaient là pour une tout autre raison. Quelque chose de bien plus grave que des mineurs consommant du cannabis. Je n’avais pas idée de quoi il s’agissait. Pas à ce moment-là. Mais le pistolet dirigé dans ma direction ne laissait aucun doute. Cette descente m’était destinée.
– Mais pourquoi ?
– Je vais y venir… Mais d’abord tu dois comprendre comment j’en suis arrivé là. »

« – Laisse tomber. Tu as craqué sur Angela. Qu’est-ce que je peux y faire ?
– Peut-être… risquai-je. Mais de toute façon, toi et moi ça n’aurait pas collé. Sois honnête. Avoue que tu as forcé les choses. »
Elle redressa la tête et essuya maladroitement la larme qui glissait sur sa joue.
– Je ne te poserai pas de problèmes… Ni à elle d’ailleurs. Vous pouvez faire ce que vous voulez. J’espère que ça durera entre vous tant qu’à faire. J’étais prête à t’aimer, Thomas, mais ça crève les yeux que vous finirez ensemble.
– Tu peux reprendre ta chambre. C’est pas la peine de changer de bungalow.
– Pour vous voir roucouler tout l’été ? Laisse tomber.
– Restons amis.
– Ah non! Pas ça. Épargne-moi ta pitié. Tout va bien, je te dis. Je ne t’en veux pas. C’était une chouette nuit. Maintenant, c’est fini. Tu peux dormir sur tes deux oreilles, je ne vous ferai pas de crasses. Je suis passé à autre chose. »

« Angela et Wendy faisaient des efforts pour éviter les tensions. Elles couraient régulièrement avec Justin – que je soupçonnais d’avoir des vues sur Angela – et d’autres sportifs de l’équipe, pendant que nous préparions la popote avec Trevor et Zachary. Tout le monde prenait ses marques. Rien ne laissait présager le drame à venir. »

Christian Pernoud est l’auteur de plusieurs romans sous le pseudonyme de Chris Loseus.

Amoureux des grands espaces il vit dans les Alpes avec sa femme et ses enfants. Il se rend régulièrement aux états-unis pour être au plus proche de ses intrigues.

Il est l’auteur, notamment, de :

Amour, Émotion, Conte, Magique, Psychologie

Notre part féroce

de Sophie Pointurier
Broché – 21 août 2025
Éditeur : PHEBUS

Pour certains, l’enfance est un paradis perdu. Pour Anne, c’est une terre aride. Fuir, briser sa chaîne, vivre sa vie, c’est tout ce qu’elle espérait. Devenue mère, la voilà rattrapée par son histoire. Et une obsession : comprendre la femme qui l’a élevée seule.

Anne est journaliste. Son dernier article, écrit en réaction au procès d’un chasseur jugé pour avoir tué une louve, la plonge dans une tempête médiatique. Mise en retrait des sujets sensibles, elle s’offre une parenthèse estivale et embarque avec elle sa fille, sa mère et sa vieille amie. Mais dès leur arrivée, l’étrange s’invite dans leur quotidien : événements inexpliqués, coïncidences, déjà-vu… Les détracteurs de Anne auraient-ils décidé de ne plus la laisser en paix ? Ou est-ce autre chose, de plus ancien et de plus sauvage, qui s’éveille autour d’elle ?

Odyssée de femmes, fable contemporaine, voyage palpitant au cœur d’une mélancolie familiale, roman sur les mythologies et la violence qui nous peuplent, Notre part féroce pose une question : jusqu’où peut-on aller pour réparer notre enfance ?

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Merci à toute l’équipe de Babelio pour cette excellente soirée, où Sophie Pointurier a su trouver les mots qui nous ont tous touchés…

J’ai découvert Sophie Pointurier avec Notre part féroce, un roman surprenant, audacieux et une écriture vive qui m’a accroché dès les premières pages. Je ne savais pas où j’allais, et c’est sûrement ce qui m’a le plus séduit, cette impression de me laisser entraîner dans un récit qui m’échappait sans cesse, qui changeait de peau à mesure que je tournais les pages. J’ai rarement lu un roman qui se transformait ainsi entre le début et sa fin, lentement, mais résolument !

Au départ, tout semble familier, presque banal. Je lis tranquillement, confortablement installé sur mon canapé, et je me dis que je tiens entre mes mains une histoire de famille comme tant d’autres. Mais peu à peu, les choses basculent, se bousculent. Les premiers signes étranges apparaissent, les questionnements autour du paranormal s’invitent, les mythes surgissent, puis les fissurent de la réalité. J’ai senti l’ambiance se charger, mon confort s’évaporer, et j’ai adoré ça.

Le roman se déploie alors dans une dimension à la frontière du réel et du fantastique, assumant une normalité déroutante où les loups-garous et les dames blanches semblent avoir droit de cité.
Trois femmes, trois générations, trois forces de caractère qui s’entrechoquent, Anne, journaliste, sa mère Scarlett, abîmée par la vie, et Rose, sa fille, témoin d’un monde qui lui échappe encore. Leurs personnalités fortes, parfois borderline, se heurtent, s’entremêlent, et rendent ce récit aussi intime que troublant. Elle seront rejoint par une voisine de Scarlett, une femme alcoolique devenue son amie, qui aura aussi son importance.
Sophie assume son histoire à la limite du fantastique avec beaucoup d’aisance, avec une normalité assumée même, elle nous livre non pas une aventure féminine, mais trois qui s’entrechoquent avec leurs trois personnalités puissante et borderline, trois générations bien distinctes.

Ce que j’ai trouvé fascinant, c’est la manière dont Sophie s’appuie sur les mythes pour raconter la famille, ses fractures, ses silences, ses blessures invisibles. J’ai aimé ce double niveau de lecture, une histoire de femmes, mais aussi un miroir tendu à nos ombres, à ce que nous portons de sauvage et d’incontrôlable. À travers Anne, écartée de son travail après un article polémique sur les loups, j’ai suivi leur voyage à Palavas-les-Flots, censé être une parenthèse, mais qui vire à l’inattendu et se transformera en quête identitaire, en confrontation avec l’Histoire familiale, voire même une plongée dans l’inexpliqué.

Notre part féroce est un roman qui m’a happé par ses mystères et ses résonances, mais pas que. C’est une lecture originale et envoûtante, où la petite histoire se mêle à la grande, et où chaque page semble nous rappeler que nos mythes intimes, eux aussi, ont toujours faim.

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Extraits :

« Ce qui se passe la nuit n’est jamais entièrement vrai, ce qui se passe le jour non plus. Cette nuit, j’ai rêvé que je prenais un médicament qui devait m’aider à mourir. Dans ce rêve, quelqu’un me tendait un cachet blanc ; je l’avalais et puis j’attendais. On me disait: ton cœur va s’arrêter dans quelques minutes. Je sentais mon cœur ralentir, il battait de plus en plus faiblement, mais ne s’arrêtait pas. J’avais mal, les heures passaient, des inconnus allaient et venaient dans la pièce. Ils discutaient comme si je n’étais pas là, inquiets, et moi je ne mourais toujours pas. »

« D’aussi loin que je me souvienne, maman avait toujours eu mal. « J’ai mal dormi » était la première phrase que j’entendais le matin au réveil. La tête, le ventre, le dos, elle avait mal partout et s’en plaignait généralement tout le temps. Je partais à l’école en sachant que je la retrouverais à 16 heures à l’endroit exact où je l’avais quittée, et qu’un compte rendu exhaustif de sa condition m’attendait pour le goûter. »

« Je crois que je rêve, ou je rêve que je me réveille. Je suis dans mon lit, j’entends des voix. Quelqu’un marche autour de moi, je perçois le bruit de ses pas sans pouvoir bouger. Mon corps ne répond pas, je veux crier mais aucun son ne sort de ma bouche et ça me tétanise. Je me vois d’en haut, allongée, le corps distinct de mon esprit.
Quelqu’un m’observe, il y a une présence, forte, presque inquiétante. Peut-être que c’est moi qui marche autour de moi, sinon, qui d’autre me ferait peur comme ça ? »

« J’ai ramené maman à la maison en me demandant comment elle avait bien pu se retrouver sur cette route en pleine nuit. Elle avait parcouru plusieurs kilomètres de La Grande-Motte jusqu’ici dans un état second et j’envisageais toutes les raisons possibles: un mélange de somnifères et d’anxiolytiques, un début d’Alzheimer, une amnésie dissociative. Aucune de ces perspectives n’était rassurante. Je lui répétais qu’elle me fichait la trouille à jouer avec sa santé, mais elle n’entendait pas.
– Tu es venue en stop, tu as pris le bus ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
Elle ne se souvenait de rien.
– J’ai marché…
– Mais tu as souvent des crises de somnambulisme ? Je vais en parler avec Rose. Ça va pas du tout là… »

Sophie Pointurier est enseignante-chercheuse et directrice de la section Interprétation en langue des signes à l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) – université Sorbonne-Nouvelle. Son deuxième roman, Femme portant un fusil, a conquis les libraires et les lecteurs.

Publications :
– Théories et pratiques de l’interprétation de service public
– La femme périphérique
– Femme portant un fusil
– Le Déni lesbien, celles que la société met à la marge
– Notre part féroce

Amour, Émotion, Drame

Il était une femme étrange

de David Lelait-Helo
Broché – 9 janvier 2025
Éditeur : Héloïse d’Ormesson

À la nuit tombée, sous le grand arbre d’Amapolas, Eusebio, le vieux conteur, promet un voyage étourdissant : la fabuleuse histoire de María Dolores Pinta de las Aguas Dulces, le seul être au monde qui eut trois vies et deux sexes ! Mais il ne dira pas comment cette femme le hante depuis que, dans sa jeunesse, il a admiré son corps inerte. Une beauté majuscule et théâtrale, une énigme inouïe à laquelle il a voué son existence.
David Lelait-Helo évoque avec éclat la puissance de l’amour maternel et ses possibles ravages. Comment se construire quand vos sourires d’enfant ont été accueillis par des regards de glace ?
Incandescent et fiévreux, Il était une femme étrange puise dans la folie d’Almodóvar et l’imaginaire foisonnant du réalisme magique.

Hier soir, j’ai eu la chance d’assister à un moment suspendu au Cercle littéraire du Château de l’Hermitage 2025.

Le prix littéraire 2025 a été remis à David Lelait-Helo pour son magnifique roman Il était une femme étrange, paru aux éditions Héloïse d’Ormesson. Et quel bonheur de rencontrer enfin l’homme derrière les mots !
Un auteur profondément humain, drôle, passionné, aussi lumineux et complexe que les personnages qu’il crée.

La soirée a été rythmée par des lectures émouvantes, des échanges à cœur ouvert sur les liens familiaux, l’avenir de la littérature, les mystères de l’écriture, sans oublier des anecdotes savoureuses, où même Nana Mouskouri s’est invitée en filigrane…
Tout cela dans la douce chaleur des chandelles, qui rendaient l’instant encore plus précieux.

Je garde en moi la joie de ces instants partagés.
Merci David pour ton talent et ta présence rayonnante.
Merci à Corinne Tartare, à toutes lectrices passionnées et aux quelques lecteurs qui ont fait de cette soirée un souvenir inoubliable.

Une couverture que je jalouse tant elle est belle, un titre magnifique qui dévoile, tout en finesse, une histoire étrange et fascinante qui marquera les esprits…

Dès les premières pages d’Il était une femme étrange de David Lelait-Helo, j’ai eu la sensation d’entrer dans un conte. Le roman a su toucher ma curiosité, me conduisant au cœur d’Amapolas, où les habitants se réunissent autour d’un arbre pour écouter le récit d’Eusebio, un vieux conteur qui sait captiver l’attention de son auditoire. Sa voix grave et envoûtante, lentement, déroule les fils d’une histoire oubliée, celle de María Dolores Pinta de las Aguas Dulces, une femme au destin hors du commun et plus encore…

Je me suis laissé prendre dès les premières pages par cette atmosphère forte, poétique et mystérieuse, surpris d’être si rapidement subjugué, transporté… Derrière le charme des mots, j’ai perçu la profondeur des thèmes abordés : l’abandon, le manque d’amour, le besoin de reconnaissance, la recherche de l’amour maternel, des thématiques déjà exprimées dans ses romans précédents. David touche à l’intime, avec une sensibilité rare.

María Dolores m’a bouleversé. Son caractère fort, sa détermination à exister malgré les épreuves m’ont profondément marqué. Elle m’est apparue tour à tour fragile et puissante, tragique et lumineuse. À travers elle, j’ai ressenti cette urgence de vivre et d’être reconnu.

J’aime l’écriture de David. Elle allie douceur et violence, richesse et précision. Son vocabulaire, parfois surprenant, m’invite toujours à m’arrêter, être attentif, à savourer les mots. Ici, il fait vibrer les paysages et les traditions de l’Amérique latine, avec une élégance presque aristocratique. Chaque phrase, chaque image, devient une invitation au voyage.

Alors, j’ai écouté Eusebio comme les villageois d’Amapolas, suspendu à ses paroles, impatient de découvrir la suite des révélations de la surprenante défunte. Qui était-elle ? Femme tragique ou lumineuse ? Même María Dolores est là, elle écoute avec nous son propre récit, étonnée que le conteur connaisse les moindres détails de son existence.

Cet ouvrage très beau m’a surpris, ému. Ses mots me bercent, m’emportent. Il m’a fait passer de l’amour à la haine, de l’attendrissement à la douleur. J’arrive à la dernière page, celle que j’attendais… La dernière phrase me tue et je comprends. Ce n’était pas une métamorphose que je venais de lire, mais bien le récit d’une renaissance.

Comme souvent, je referme le livre en silence. Mais l’émotion, elle, ne me quitte pas.
Un livre puissant, que je recommande à tous.

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Extraits :

« LES SIECLES DES SIÈCLES SEMBLAIENT L’ENLACER. La morte reposait. D’une beauté ancienne et effarante. Étendue pareille à une reine et autour d’elle, en corolle, les plis soleil d’une jupe longue couleur de nuit. Un soleil noir et or piqueté des perles rouge sang d’un long chapelet auquel se cramponnaient les doigts noués. Était-elle encore de chair ou déjà de pierre? De fines veines sombres filaient à la surface de ce marbre froid. La dame était un fossile superbe posé au creux de son écrin, un édredon de velours pourpre. »

« Le cercle est suspendu à ses lèvres, le vide danse autour de lui.
Durant d’interminables secondes, le vieil homme laisse filer le silence avant de reprendre son récit par les mots simples et tant espérés. Ces mots qui fondent toute histoire depuis l’aube des temps.
Il était une fois… »

« Quelques mois plus tôt, la Mère s’était arrachée à sa famille et à ses connaissances pour, à l’abri des regards, dans une maison de pierre, donner naissance à un enfant que la bienséance lui interdisait de porter. Et voici que l’irruption d’un second rejeton majorait son indignité. Si la fille lui avait très naturellement inspiré un grand élan d’amour, le fils imprévu lui dictait un désintérêt qu’elle ne songerait pas à s’expliquer – pire, une désaffection. »

« La voix d’Eusebio se fissure légèrement, l’émotion se faufile; n’est-il pas l’ultime survivant de ces temps anciens, quand le grand vacarme des villes n’avait pas encore couvert la petite musique du monde. Un jour prochain, il le sait bien, Amapolas sera à son tour dévoré par la gangrène du progrès et les harpes de jadis se tairont à jamais. L’adage des pères lui revient doucement. Tout sur la Terre est musique, professaient-ils. Le souffle du vent dans les feuillages et les fleurs, le murmure des insectes et le chant des oiseaux, la danse des vagues, le crépitement du feu, le clapotis de la pluie, la fureur de l’orage… et la Terre elle-même qui, en tournant sur son axe, émet une mélodie secrète. La musique des sphères. Dans ce temps-là, on savait l’écouter, et Dieu que le monde chantait juste.
Du bout du pied, le vieil homme continue de frapper une invisible cadence, personne dans le cercle ne soupçonne que résonnent en lui les vibrations du cosmos. »

« Je dialoguais avec les fleurs et les nuages, m’enivrais des senteurs du jardin et de la forêt, j’avalais le vent et goûtais la pluie, je percevais ce que les autres ne soupçonnaient pas. »

David Lelait-Helo est né à Orléans le 3 décembre 1971.

Après des études de littérature et civilisation hispaniques à Montpellier, il enseigne l’espagnol. En janvier 1997, à 25 ans, il publie chez Payot la première d’une longue série de biographies, parmi lesquelles

  • Maria Callas : j’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour (1997),
  • Dalida : d’une rive à l’autre (2004).
    C’est à cette période qu’il délaisse l’enseignement pour se consacrer à une carrière de journaliste. Il a écrit pour de nombreux magazines (Gala, Cosmopolitan, Femmes d’aujourd’hui…), animé des émissions musicales sur la chaîne Pink TV, occupé pendant vingt ans le poste de responsable des pages culture et people au magazine Nous Deux et, depuis 2022, celui de chroniqueur littéraire pour Femme Actuelle et Prima.
    David Lelait-Helo a également écrit des essais, Gay Culture (1998) et Les Impostures de la célébrité (2001), ainsi que des romans, dont :
  • Poussière d’homme (2006),
    https://leressentidejeanpaul.com/2025/08/04/poussiere-dhomme/
  • Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri (2016),
  • Un oiseau de nuit à Buckingham (2019), aux éditions Anne Carrière,
  • Je suis la maman du bourreau (2022), aux éditions Héloïse d’Ormesson
    https://leressentidejeanpaul.com/2022/04/09/je-suis-la-maman-du-bourreau/