de Monica Sabolo
Broché – 18 août 2022
Éditions : Gallimard
“Je tenais mon sujet. Un groupe de jeunes gens assassinent un père de famille pour des raisons idéologiques. J’allais écrire un truc facile et spectaculaire, rien n’était plus éloigné de moi que cette histoire-là. Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de tout ce qui me constitue : le silence, le secret et l’écho de la violence.”
La vie clandestine, c’est d’abord celle de Monica Sabolo, élevée dans un milieu bourgeois, à l’ombre d’un père aux activités occultes, disparu sans un mot d’explication. C’est aussi celle des membres du groupe terroriste d’extrême gauche Action directe, objets d’une enquête romanesque qui va conduire la narratrice à revisiter son propre passé. Comment vivre en ayant commis ou subi l’irréparable ? Que sait-on de ceux que nous croyons connaître ? De l’Italie des Brigades rouges à la France des années 80, où les rêves d’insurrection ont fait place au fric et aux paillettes, La vie clandestine explore avec grâce l’infinie complexité des êtres, la question de la violence et la possibilité du pardon.
Pour notre première soirée littéraire 2023, nous avons eu le plaisir de recevoir Monica Sabolo, pour son livre, “La vie clandestine”.
J’avoue que lors de ma lecture, je me suis posé énormément de questions.
Lorsque j’étais enfant, j’ai beaucoup entendu à la télévision ou lors de discussions entre les adultes, parler du groupe “Action Directe” qui revendiquait plusieurs dizaines d’attentats, des “Brigades rouge” qui semaient la terreur, et de bien d’autres groupes terroristes qui sévissaient entre les années 70 et 80…
Ce livre m’a complètement happé, déconcerté parfois, mais je n’ai pas pu le lâcher… Émotion, admiration, mais que de questionnements…
Monica est en manque d’inspiration. Elle se dit qu’il serait intéressant d’écrire sur un sujet qui lui serait complètement étranger : “Les années sanglantes du terrorisme”.
Elle est obligée de faire énormément de recherches, de recoupements, d’études sur la clandestinité, et sur toute cette culture du terrorisme qu’elle ne connaît pas du tout, pour finalement cibler le cheminement d’un quatuor assassin. Deux hommes et deux femmes qui ont fait la une et fait frissonner de peur toute la France, “Action Directe”…
L’écriture de Monica est puissante, belle et cruelle, mais aussi empreinte de douceur et de délicatesse, le récit va petit à petit se superposer à son propre vécu, à sa jeunesse. Mais cela pourrait tout aussi bien être la nôtre. L’histoire d’une famille qui pour moins souffrir, oublie, efface les traumatismes çà et là, pour finalement enterrer tous les secrets de familles qui pourraient remonter au-delà des générations et qui refusent systématiquement de se taire. Si l’histoire d’action directe était une nouvelle excuse pour oublier, le passé rattrape tout de même l’auteure… Elle-même apprend assez tard que son père, diplomate n’est pas son géniteur. Monica est née “de père inconnu”, de là, elle essaie d’y voir clair dans sa propre vie depuis sa naissance. Elle a été elle-même élevée dans le mensonge et par un beau-père (Yves S), qui lui a rétorqué des années plus tard, lorsque Monica ose enfin lui en parler : “Ce genre de choses arrive tout le temps, dans les familles…”. Alors, elle va s’interroger à double titre sur les crimes et le passage à l’acte, sur la culpabilité et le pardon…
C’est un livre qui ne s’adressera pas à tous les lecteurs, mais assurément un très beau livre.
Deux histoires percutantes qui vont s’entrelacer ainsi jusqu’à la fin du récit, enquête documentaire et introspection personnelle, pour le pire et le pardon…
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Extraits :
« Je comprends rapidement, dans quel guêpier je me suis fourrée. Je ne connais rien aux mouvements d’extrême gauche, n’ai jamais milité ni participé à la moindre action collective – tout ce qui relève du groupe m’angoisse, et paraît s’adresser à d’autres, comme si je n’appartenais pas à la société. Je me perds dans les différences entre marxistes, léninistes, trotskistes, maoïstes, et, lorsque j’entends des ex-soixante-huitards évoquer cette période, avec ce mélange de décontraction et d’autorité, leurs certitudes, leurs dogmes, j’ai la même sensation qu’avec Yves S. : eux, ils savent, et moi, je ne sais rien. »
« Je me souviens du jour où ma mère m’a dit que mon père n’était pas mon père. Nous sommes dans sa cuisine, et il est 11 heures du matin. J’ai vingt-sept ans. Plus de dix ans se sont écoulés depuis l’épisode du certificat de naissance italien, depuis que j’ai vu inscrit en lettres noires, tapées à la machine, la mention « di padre ignototo », que j’ai interprétée comme « de père ignoble », avant de comprendre ce que cela signifiait. Et de ne plus y penser. Jamais, pas une seule fois.
Ce jour là, il est 11h du matin, et ma mère a sorti une bouteille de vin. Elle a posé deux verres sur la table.
“J’ai quelque chose à te dire.” »
« Je n’aime pas quand papa vient me voir, le matin.
J’ai prononcé cette phrase, exactement celle-là. C’est le matin, je m’adresse à ma mère, mon père est parti rejoindre ce lieu mystérieux où il travaille. Nous nous tenons dans son dressing, devant l’enfilade de miroirs, mais je ne perçois pas notre reflet. Seulement la moquette beige, et le mur blanc, comme si nous étions des apparitions. Seuls, mes mots se détachent dans le vide. Je ne me rappelle pas de sa réponse, ni même si elle répond, je n’ai aucun souvenir de sa voix. Je sais seulement qu’elle s’éloigne, je ressens encore le mouvement de son corps. Je revois l’enfilade de miroirs, son ombre passant de l’un à l’autre, et la poussière en suspension. »
« La clandestinité n’est pas aussi romantique qu’on pourrait le croire : on imagine une vie trépidante, loin de la cité et des institutions, un lieu sauvage, que l’on habiterait tel un bois, comme le font les amants, les druides et les poètes. En réalité, ce n’est pas l’expérience de la liberté, mais celle de l’entrave. Elle ne permet pas d’échapper à la légalité, elle condamne à l’illégalité. Rien de ce qui est public, autorisé, je ne l’est plus. »
Monica Sabolo est une journaliste et romancière française.
Elle a grandi à Genève en Suisse où elle fait ses études. Après avoir milité pour la défense pour les animaux, au sein du WWF en Guyane puis au Canada, elle travaille à Paris en 1995 comme journaliste pour un nouveau magazine français « Mer et Océans ».
Elle passe dans les rédactions des magazines « Voici » et « Elle ». Au lancement de « Grazia » (Mondadori France), elle est recrutée comme rédactrice en chef « Culture et People ».
En 2000, elle publie son premier roman, « Le Roman de Lili ». Elle réitère cinq ans plus tard, en 2005, avec « Jungle ».
Début 2013, elle prend un congé sabbatique de quelques mois pour écrire un troisième roman, « Tout cela n’a rien à voir avec moi » (2013), pour lequel elle reçoit la même année le prix de Flore.
En janvier 2014, Monica Sabolo quitte Grazia et le journalisme pour se lancer dans une nouvelle activité : l’écriture de scénario. Crans-Montana (2015) obtient le grand prix SGDL du roman 2016.
En 2017 elle publie Summer, finaliste du Prix Goncourt des lycéens et finaliste du Prix du roman des étudiants France Culture – Télérama, roman pour lequel Monica Sabolo a reçu le Prix des lecteurs de la Fête du Livre de Bron 2018.
Il sera suivi en 2019 par le roman Eden, pour lequel elle s’égare dans les bois de Colombie-Britannique, émerveillée par les lieux et horrifiée par le sort des femmes autochtones.
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